06 novembre 2004

La laine sur le dos

    En marge de l'excellent reportage privé de Zone libre, La fermeture d'Alcan, je ne puis retenir cette fois la révolte qui me ronge chaque fois que le pillage légalisé de nos ressources humaines et naturelles soi-disant pour notre bien-être économique revient dans l'actualité.


Je ne suis pas d'une région, ni d'un parti, ni d'un groupe de pression, ni d'une idéologie, ni d'une religion intégriste quelconque. J'ai passé l'âge habituel de la révolte; j'ai plutôt celui de la sécurité douillette bien méritée.



Mais je suis révolté qu'en 2004 on se fasse encore 'manger la laine sur le dos'!



Je suis révolté du sort dévolu aux travailleurs qui ont sacrifié le meilleur de leur santé et de leur vie pour des compagnies qui les traitent moins bien que les machines appelées à les remplacer. Alcan est l'exemple type de ce que vaut pour la 'grande' entreprise la ressource-machine humaine : de la chair à profits.



    Je leur rends hommage en même temps à ces travailleurs et travailleuses qui ont cru et espéré au point de tout donner pour leur compagnie et de faire des enfants pour assurer la relève de la ressource humaine des maître des lieux.


Je suis révolté d'avoir été trahi par des gouvernements qui ont vendu à des exploiteurs étrangers des grands pans du territoire que nous avaient légué nos ancêtres autochtones et canadiens français puis anglais puis autres. Ces gouvernements, nous les croyons nôtres mais ils ne le sont pas : comment peuvent-ils l'être pour nous vendre sans conditions pour un petit pain? « Maîtres chez nous! », nous le savons maintenant, est le fruit d'une erreur typographique. Alcan, Noranda, Abitibi, etcaetera avaient comme slogan : « Maîtres chez vous! ».



    J'aimerais bien voir la carte géographique de l'appartenance réelle des régions du Québec. Au lieu des noms touristiques fictifs, y voir les noms des compagnies qui, légalement -- ce qui ne veut pas dire légitimement -- se les sont appropriées et qui se les approprient encore avec l'aval béant de nos élus béats. À qui donc appartient le Québec? Après les libéraux et les unionistes, même les péquistes nous ont bernés avec 'Le Québec aux Québécois!' en perpétuant l'exploitation sauvage du Québec sans retombées réelles pour les Québécois en région : les villages ressemblent de plus en plus à des réserves, à une revanche des Indiens.


Je suis révolté du virage capitaliste à tout prix qu'on pris les syndicats. D'opposition lucide et socialement engagée pour améliorer le sort de leurs membres, les grandes centrales sont devenues des fonds lucratifs pour actionnaires opportunistes tirant profit à la fois des gouvernements et de l'entreprise. Les choix syndicaux sont maintenant déterminés par les cotes boursières; la syndicalisation, oui, mais à la condition que vos emplois soient hautement rentables pour les actionnaires!



    Nous ne pouvons donc plus compter sur les grands syndicats pour dénoncer l'exploitation de la ressource humaine non rentable.


Je suis révolté par les oeillères et les muselières que portent nos médias même publics. L'économie et les profits à tout prix contrôlent les médias. Les dossiers même chauds ne lèvent qu'une partie des voiles : il ne faut pas en dire trop, il ne faut pas en montrer trop, il ne faut pas insister trop longtemps. Du matin au soir, la nouvelle évolue, se reformule jusqu'à devenir économiquement et politiquement correcte. Il ne faut pas provoquer. Seule exception : la nouvelle judiciaire juteuse, la nouvelle sans risques par excellence car les protagonistes en cour sont déjà accusés, arrêtés, condamnés, emprisonnés... Haro sur les baudets mais patte blanche devant les maîtres!



    En regardant la rediffusion de La fermeture d'Alcan (RDI, ce soir à 21 h 30 hne), je serai encore plus attentif au ton et aux mots utilisés pour décrire le comportement de la compagnie et de ses dirigeants : en première audition, j'ai senti le dos de la cuillère et les gants blancs. Comme s'il ne fallait pas provoquer le dieu du Saguenay en montrant le véritable 'corridor de l'enfer'.


Je suis révolté par le silence de nos intellectuels et spécialistes retraités, pré-retraités ou qui préparent leur retraite. Eux qui étudient, eux qui savent, eux qui voient venir mais qui ne disent rien, se taisent ou acceptent de se faire taire.



Je suis révolté par notre passivité collective feignant l'impuissance, sentant la résignation, la démission ou l'inconscience, au chaud dans nos hydro-chaumières, les deux yeux fermés devant nos cinémas maisons, en attente de rires à plein volume et à haute résolution après huit heures de travail à temps partiel dont la moitié pour nos gouvernements généreux en fonds perdus.



Je suis révolté par l'attitude altière de l'assurance que donne aux hommes de capitaux les contrats gouvernementaux profitables mur à mur à vie à sens unique. S'ils étaient tolérables au temps des retombées en emplois, ils sont devenus iniques maintenant que des machines productives remplacent les travailleurs mis au ban. Il doit bien y avoir une loi quelque part, non écrite ou dans le droit du bon sens qui défend de légaliser la spoliation des ressources naturelles sans obligation de redevances!






    Quelle part des profits devrait revenir aux collectivités qui fournissent les ressources naturelles et humaines nécessaires pour les générer? Dans un monde plus juste, les profits devraient être répartis 50-50 : 50 % aux actionnaires et 50 % aux travailleurs et à la collectivité. Le développement régional se ferait alors tout naturellement.


    Pour me calmer, je vais maintenant pouvoir regarder en reprise Les Bougons, Laflaque, l'Infoman et le clown Guya. Et peut-être, sait-on jamais, mourir de rire!


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