31 octobre 2004

Réfléchir avec Wajdi Mouawad

Wajdi Mouawad ne figure pas parmi The Greatest Canadian. C'est pourtant un jeune auteur québécois important. Important parce qu'il nous amène constamment à réfléchir sur nous-même en nous référant à l'autre. En l'écoutant, on ne peut faire autrement que de réfléchir sur notre condition humaine. J'en fais mention ici à la suite d'une entrevue entendue chez Marie-France Bazzo à l'occasion de la sortie de son premier film, Littoral, et d'une recherche en ligne pour mieux comprendre son parcours engagé.



On ne peut pas parler d'une culture si on ne sait pas à quoi cette culture est rattachée. C'est-à-dire si on ne connaît pas le trajet qu'elle a suivi pour arriver jusqu'à nous et être ce qu'elle est aujourd'hui.


Une société ne peut faire semblant que deux mille ans de chrétienté n'ont pas existé. Pour qu'une collectivité puisse s'ancrer dans le sol, solidement, elle ne peut pas se déraciner de tout ce qui lui a déjà donné un sens.


C'est alors qu'à force de rêver et de fréquenter ces trois personnages (Oedipe, prince de Thèbes, Hamlet, prince du Danemark et L'Idiot, Prince Mychkine), je me suis senti happé par eux. Il m'est apparu clair au bout d'un certain temps, que c'était mon histoire que je voulais raconter; celle d'un homme de 27 ans qui un jour reçoit la visite de trois morts qui viennent lui dire: « Ta génération est une génération perdue si elle ne plonge pas dans le récit, dans l'histoire. Si elle ne plonge pas dans l'histoire, la bombe la gobera, et vous serez perdus. » Ainsi est né Littoral.


(Citations tirées du synopsis, dans la section Notre cinéma de radio-canada.ca.)

Entrevue (audio) à l'émission Indicatif présent


Entrevue dans Séquence


Extrait de la pièce : Littoral



30 octobre 2004

Par la fenêtre

Nous sommes tous bornés. À cause des fenêtres. Par la fenêtre juste devant moi je vois nos graminées qui achèvent de blêmir, quelques arbres effeuillés, un coin du ciel trop gris, bien triste. Il me faudrait sortir pour voir tout le champ et la forêt entière. Enfin, une partie du moins. Celle qui passerait à travers les fenêtres que j'ai sur le nez. Pour tout voir, il me faudrait marcher. Marcher par en arrière. Reculer, reculer, reculer pour voir plus large jusqu'à ce que je ne puisse que les regarder sans les voir. Pourquoi donc reculer alors, pourquoi vouloir tout regarder si c'est pour ne rien voir? Non. Je préfère continuer à observer par la fenêtre juste devant moi. Chaque plante qui se laisse bercer par le vent. Chaque branche qui tente de retenir (ou de relâcher?) quelques feuilles qui s'accrochent encore à la vie. Si nous sommes si bornés, c'est peut-être qu'il n'y a pas d'autre façon de voir.

29 octobre 2004

Poète!

    Les poètes ne font pas souvent la manchette. Un article de Pascale Guéricolas, « La société des poètes disparus » sonne l'alarme : les poètes sont en voie de disparition au Québec.

Gaston Miron est mort et Jacques Brault s'est retiré à la campagne. La poésie québécoise contemporaine manquerait-elle de figures d'autorité?


Dans un monde d'avoir et de faire, il y a bien peu de place et de temps pour être. Être n'importe quoi : médecin, ébéniste, professeur ou père. Au masculin comme au féminin. Dans ce monde, on fait. On fait des chirurgies, on fait des meubles, on fait la classe, on fait un enfant ou deux. Dans ce monde on fait aussi de la poésie : Internet en regorge; il y en a même dans Franchement!...



Faire un meuble est autre chose qu'être ébéniste. Faire de la poésie est autre chose qu'être poète. J'écris ceci et ne suis pas écrivain.



Il y a encore des médecins, des ébénistes, des professeurs. Il y a même encore des pères. Quelques-uns. On dit fièrement d'eux : c'est mon prof, c'est le meilleur ébéniste que je connaisse, c'est un excellent médecin. C'est MON père!



Mais poète!... Claude Trudeau ou Tremblay ou Turcotte, poète? Ah! Ah! Ah!



Ma chère Pascale Guéricolas, désolé, mais au Québec en 2004 les poètes n'ont plus leur place. Comme les enfants qui ne savent rien faire. Comme les vieux qui ne savent plus quoi faire. Pourquoi ferait-on une place aux poètes, ces enfants attardés qui ne veulent rien faire d'autre qu'être et dire l'être dans de petites phrases pleines de sens cachés?





28 octobre 2004

Dieu

J'ai cessé de chercher vainement des preuves de l'existence de Dieu dans la beauté, l'ordre, l'amour, la grandeur et la diversité de la vie en prenant conscience du pouvoir exploiteur/destructeur de l'homme, soi-disant chef-d'oeuvre de la création. Ce n'est donc pas d'hier.



HOMME, subst. masc. [...] Être appartenant à l'espèce animale la plus développée, sans considération de sexe. (TLFi)


Je n'ai pas cessé de croire en Dieu pour autant. Parce que, viscéralement, je ne tolère ni le vide, ni le non-sens. Et puis, s'il y a l'homme exploiteur et destructeur, l'homme de mort, il y a aussi l'homme chercheur et créateur, l'homme de vie.



L'existence de Dieu? Et si Dieu n'était rien d'autre que l'existence. L'existence dans toute sa diversité.



27 octobre 2004

The Greatest Canadien

La CBC me fait prendre une fois de plus conscience de mon appartenance au Tiers-Québec avec sa série The Greatest Canadian.



Politiquement, il y a trois Québec : celui des Québécois du parti et d'une partie du bloc; celui des Canadian Quebecers; et celui des Québécois canadiens ou Canadiens-français. Je suis de ces derniers : nous formons le Tiers-Québec, c'est-à-dire les exclus de la scène politique officielle.



La série télévisée The Greatest Canadian, personne n'en parle au Québec. C'est pourtant un événement médiatique important (même mondial). Au printemps dernier, la CBC invitait son auditoire à dresser une liste des plus grandes personnalités canadiennes de tous les temps. Cent quarante mille personnes ont répondu et proposé des noms : 210 personnalités en sont ressorties. Actuellement et jusqu'à la fin de novembre, c'est la ronde finale : chacune des dix personnalités en tête de liste est l'objet d'une émission au cours de laquelle un 'avocat' en fait la présentation et l'éloge. Le public est invité à voter, cette fois pour déterminer lequel parmi les dix est The Greatest Canadian. Un volet éducatif avec du matériel pédagogique fort bien fait complète la série.



Je parle ici de cette série parce qu'elle illustre parfaitement l'inextricable situation politique québécoise et l'impact de cette situation sur le vide identitaire que nous sommes en train de créer dans le Québec d'aujourd'hui.



L'émission est diffusée exclusivement en anglais à la CBC. Pourquoi pas en même temps en français à la SRC sous le titre «La plus grande personnalité canadienne»? On en a très certainement discuté en haut lieu et conclu qu'il n'était pas politiquement souhaitable, le cas échéant, de faire éclater au grand jour la dualité canadienne : impossible, s'est-on dit de faire l'unanimité sur The Greatest Canadian à la fois au Québec et dans le reste du Canada, les dés étant pipés en faveur de la majorité anglophone. Et pourquoi alors ne pas avoir décidé d'en couronner deux : la plus grande personnalité canadienne anglaise et la plus grande personnalité canadienne française? Parce qu'en plus d'illustrer la dualité canadienne, on aurait ce faisant fait éclater au grand jour la dualité québécoise cette fois. Imaginez les tollés advenant que le choix se soit porté sur René Lévesque ou sur Pierre E. Trudeau... Conséquence : pour éviter le syndrôme du référendum, la série est diffusée uniquement à la CBC et en anglais; d'autre part, Canada bilingue exige, il existe une version française du site Web de l'émission. Il faut dire aussi qu'une partie de l'auditoire de la CBC étant francophone, parmi les 210 noms proposés par le public, 46 personnalités sont canadiennes-françaises.



Une autre belle occasion manquée pour se parler, pour se tenir debout face aux autres Canadiens, pour participer à un débat public musclé et revendiquer qu'une place soit faite aux personnalités qui en français ont fait ce Canada qui est le nôtre aussi depuis bientôt cinq siècles, donc bien avant 1763.



Liste à part, pour qui voteriez-vous?


26 octobre 2004

Notre valeur à la carte

Il y a des fois où j'aimerais bien avoir quelque talent de caricaturiste. Ainsi, ce matin, où je me suis mis à supputer quelle est notre valeur à la carte.



Notre bouche est particulièrement appréciée dans les épiceries et dans les restaurants. Notre peau vaut cher dans les pharmacies et dans les friperies de jamais ou de déjà porté. À la quincaillerie, on toise plutôt nos bras. Nos yeux font la fortune des éditeurs et des télédiffuseurs; des lunettiers aussi, et des donneurs de spectacles en tous genres. Dans les magasins d'appareils électroniques, ce sont surtout nos oreilles qui rapportent. Et que feraient les parfumeries sans notre nez dont on se fiche pas mal qu'il soit gros ou petit! Vous avez vu comment les vendeurs d'articles de sports lorgnent nos jambes? Dans les boutiques de produits dits naturels, notre ventre fait fureur. Dans les bijouteries, ce sont nos doigts qui ont de la valeur, dès l'entrée; et plus encore, à la sortie. Quant à nos pieds, ils sont les bienvenus chez tous les bottiers. Même notre sexe est discrètement convoité dans les bars et boutiques érotisés.



Allez dans un centre commercial ou marchez sur une rue principale un jour de semaine où il y a peu d'achalandage et où les commerçants, tout sourire, vous regardent déambuler. En passant d'une porte à l'autre, vous prendrez conscience de votre valeur marchande, de celle de vos pieds, de celle de votre peau, de celle de vos doigts, de celle de votre estomac... En arrivant devant la banque du lieu, vous aurez même le sentiment d'avoir une valeur globale, de la tête aux pieds : une valeur à la carte.


25 octobre 2004

Notes sur l'épaisseur

    Le premier livre que je n'écrirai jamais sera un essai sur l'épaisseur. Je griffonnne ici en vrac quelques observations et questions que je me pose sur ce sujet fascinant : notre besoin d'épaisseur.


Épaisseur et sexe. Pourquoi l'épaisseur est-elle plus drôle chez les hommes que chez les femmes? Les gars n'aiment pas les épaisses (opinion strictement personnelle et subjective); mais est-ce que les filles sont attirées par les épais?



Épaisseur et physique. On associe facilement gros et épais. On dira 'gros épais', mais 'grand niaiseux'... Y a-t-il vraiment plus d'épais chez les gros? Les gros épais ont-ils plus de succès que les gros sérieux?



Épaisseur et âge. Y a-t-il un âge pour l'épaisseur? Tout se passe comme si l'épaisseur était un phénomène 'normal' à l'adolescence (ou est-ce un préjugé?), 'tellement drôle' dans la vingt et trentaine, 'suspect' dans la quarantaine et carrément ridicule à partir de la cinquantaine. L'épaisseur aurait-elle à voir avec notre quête de l'éternelle jeunesse?



Épaisseur et société. Pour rabaisser ou humilier quelqu'un qui ne nous revient pas, on le fait passer pour épais. C'est un phénomène qu'on observe de plus en plus, notamment chez certains 'humoristes' et à la télé : L'Infoman, Tout le monde en parle, Et dieu créa Laflaque, etc. Certaines 'classes' semblent plus exposées à ce phénomène : politiciens, policiers, fonctionnaires... Pourquoi celles-là? Comment se fait-il que d'autres semblent épargnées : les médecins, les avocats, les artistes...



Épaisseur et humour. À l'École nationale de l'humour, est-ce qu'on enseigne l'épaisseur ou l'épaisseur est-elle une condition d'admission? Est-ce qu'on y offre l'option Humour épais? Pourrait-on se divertir et rire sans l'épaisseur?



Épaisseur et médias. Pourquoi l'épaisseur simulée, notamment à la radio, exerce-t-elle une telle fascination auprès d'un certain public (assez nombreux si on en croit les cotes d'écoute)? Dans les médias, les épais 'Québécois de souche' sont sur-représentés par rapport aux épais Néo-Québécois : aurions-nous l'apanage de l'épaisseur?



Épaisseur et psychologie. Y a-t-il de vrais épais, heureux de l'être, bien dans leur peau? Existe-t-il une psychologie de l'épaisseur? Pourquoi devient-on ou choisit-on d'être épais? Est-ce une forme d'autovalorisation par l'absurde? Comment peut-on distinguer un vrai épais, s'il en est, d'un épais de galerie? Quand un faux épais parle sérieusement, comment peut-on le savoir?



Épaisseur et inspiration. Ce qui semble le plus inspirer -- obséder serait plus juste -- les épais, c'est le sexe. Pourquoi est-ce qu'aussitôt qu'un épais parle de sexe, ça déclenche notre rire? Serait-ce la manifestation d'un malaise que le sexe provoque chez beaucoup d'entre nous, un rire nerveux qui agit un peu comme une soupape devant ce révélateur de notre propre épaisseur dans le domaine? Une autre source d'inspiration, c'est le langage vulgaire. Quel est le lien entre la vulgarité et l'épaisseur? La vulgarité serait-elle en quelque sorte le summum de l'épaisseur, sa forme extrême?



Épaisseur et culture. En se faisant passer pour épais, on peut tout dire et tout faire ou presque. L'épaisseur est en quelque sorte un passe-partout pour tourner en dérision le meilleur et le pire, sans distinction. Peut-on parler d'une culture de l'épaisseur? L'épaisseur n'est-elle pas plutôt en train d'étouffer la culture? Comment se fait-il que l'épaisseur échappe si facilement à la critique? Y aurait-il un lien entre la critique et l'épaisseur, cette dernière pouvant être perçue comme une forme de la première? L'épaisseur n'est-elle pas plutôt une imposture?



24 octobre 2004

La Louisianne du Nord

La souveraineté canadienne est en sursis. Dans combien de décennies ou de générations les Canadiens seront-ils tous des Américains? Je ne saurais le dire, bien sûr; mais c'est irrémédiable. Cela se fera sans guerre, tout naturellement : un jour les Canadiens s'apercevront qu'ils sont Canado-américains, puis Américains. Et ils en seront fiers et rassurés. Il y aura alors trois grandes forces mondiales : l'américaine, l'européenne et l'asiatique.



Pas même besoin d'une boule de cristal pour l'affirmer. Les conditions en place mènent là inexorablement : le libre-échange asymétrique pan américain, une économie régionale de moins en moins autosuffisante et de plus en plus dépendante de l'import-export, la globalisation des marchés financiers, le renforcement implacable de l'Union européenne, la montée de l'économie asiatique aux répercussions politiques prévisibles (bloc asiatique), la disparition des identités nationales (ce n'est pas un phénomène proprement québécois), la dénatalité encouragée, la multiculturisation et la multiethnisation, l'amalgamisation culturelle, bref la primauté absolue à l'économique... (En se mettant ensemble, on pourrait compléter cette liste de signes qui est loin d'être exhaustive.)



En bout de ligne, l'humanité en sortira probablement gagnante sur le plan matériel, à la condition que d'ici là l'Afrique y trouve son compte et que les pays arabes retrouvent leur fierté (les signes sont peu encourageants de ce côté-là, j'en conviens). Sur le plan de la diversité culturelle, il restera au moins nos archives numérisées pour les futurs archéologues.



Les résultats de la prochaine élections présidentielle risquent cependant d'accélérer cette échéance si G. W. Bush est réélu, ce qui est plus que probable. « L'occupation préventive » et la « menace terroriste venant du Canada » : ça vous dit quelque chose? Nos voisins veillent au grain.



En ces temps encore lointains, le Québec sera devenu la Nouvelle-Louisianne ou la Lousianne du Nord. Et j'espère qu'à cette époque où nous ne serons plus, disons en 2104, il y aura un Néo-louisiannais québécoijun pour donner son opinion en français sur les candidats aux présidentielles d'Amérique. Comme Zachary Richard le fait ce mois-ci, courageusement et en français, dans son rapport mensuel en provenance de la Louisianne. J'en cite quelques extraits pour me les rappeler (il faut lire son 'rapport' au moins une fois en entier) :



Les USA sont devenus le royaume du « sound bite », où la raison a cédé la place à l'image. Comment expliquer la situation autrement? Quand « aucun enfant abandonné » (no child left behind) veut dire, en vérité « aucune aide aux écoles ». Où la politique « d'air et d"eau pure » veut dire, en vérité, « moins de contrôles, et plus de pollution ». Où la loi dite « Patriot » veut dire, en vérité « le gouvernement vous surveille ». Il semble que dans cette culture, tant que vous avez le contrôle des images, vous pouvez faire croire qu'une saucisse est un bifteck. Et la vraie tragédie c'est qu'il semble qu'au moins la moitié des Américains s'en fout, ou ne comprend pas ou les deux.


Les Américains ne semblent plus intéressés à comprendre ce qui se passe dans le monde, et pour cela nous avons le président qu'il faut. Tout doit être condensé en « sound bite » de 30 secondes pour que les gens s'y intéressent. Tout ce qui est analyse est trop exigeant. On n'arrive pas à se concentrer. On ne cherche qu'à se divertir. Alors dans ces conditions, celui qui manipule l'image de la façon la plus efficace a raison.


Au lieu de gouverner, George W. Bush essaie d'imposer sa vision du monde sans avoir la compréhension nécessaire. Le résultat est le déficit le plus important de l'histoire (en trois ans, les USA sont allés du plus grand surplus budgétaire au déficit le plus important), pas de solution à la question d'assurance maladie, un taux de pauvreté grimpant et une guerre en Iraq basée sur une information fausse, et qui a le résultat contraire de celui qu'on espérait.


En plus, nous sommes gardés dans un état de peur permanent. On a vu, depuis l'inauguration du système d'alarme anti-terroriste, les couleurs du code se balancer entre jaune et orange (n'attendez pas de voir le vert ni le bleu, et encore moins le rouge). Le système ne fait strictement rien pour améliorer la sécurité. Par contre, les citoyens sont assiégés par une information douteuse qui ne sert qu'à augmenter l'anxiété dans le pays. Il semble que la peur sert bien les objectifs domestiques de George W. Bush.


Je veux vivre dans une Amérique qui s'inspire de courage et non de peur. Où l'image n'est pas manipulée à des fins politiques. Où les USA font briller leur lumière pour servir de phare au monde. (...) Je veux vivre dans un pays où je peux avoir confiance dans l'avenir, un pays où l'on agit par courage et non pas par peur. Un pays où l'éducation et l'environnement naturel sont respectés. Un pays où tous sont assurés contre la maladie. Un pays où la politique étrangère est basée sur la collaboration avec le monde plutôt que sur l'arrogance. Un pays dont je peux être fier.







23 octobre 2004

De l'information pleine d'émotions

Les gens qui font l'information savent bien faire les choses. Ils ont comme mandat d'actualiser nos émotions et ne ménagent rien pour les mettre à jour. Prenons la gamme d'émotions d'un jour comme un autre : hier.



Fou rire. Images et sons de la cérémonie organisée par Hydro-Québec pour nous vendre un programme de conservation d'énergie payé en partie par le fédéral, en partie par Hydro, bref, totalement par nous, contribuables énergivores. Ça m'a fait du bien d'entendre et de voir le grand rire aux éclats du président de notre électricité, qu'on ne voit presque plus depuis 'le grand verglas' : il semblait tellement fier de son coup!



Rage. Images et sons de l'après-procès condamnant un homme accusé d'infanticide. On nous a montré et fait entendre la colère de la mère du condamné. Ça m'a fait rager d'entendre et de voir cette hargne maternelle devant une telle condamnation par la justice. Elle ira en appel : son fils serait une victime! L'enfant tué ne peut, lui, en appeler.



Provocation. Images vidéo amateur tournées en direct par un fou du karting dans les rues de Québec la nuit. Ça m'a fait suer de voir quelqu'un braver impunément les lois et règlements de la circulation urbaine sans se faire attrapper ni avoir à payer l'amende. En plein bulletin de nouvelles, un fou de liberté extrême à 150 à l'heure au ras du sol narguant la mort comme s'il avait en banque les dix vies de son jeu vidéo.



Stupéfaction. Images de morceaux de pierres au beau milieu d'une garderie de Wendake, venus d'un dynamitage à proximité sans tapis de protection. Ça m'a fait bondir de voir le résultat manifeste de l'inconscience, de l'incompétence, de l'irresponsabilité ou de l'ignorance crasse : le risque coûte moins cher, c'est connu. S'il y dégâts, blessures, mort d'hommes ou d'enfants, tant pis : les assurances, c'est pas là pour rien.



Revanche. Images de Fidel Castro perdant pied au sortir d'un de ses longs discours et choir de tout son long sur le sol. Depuis le temps qu'on attend sa chute, ce révolutionnaire attardé devenu dictateur comme ses prédécesseurs, ce socialiste têtu qui empêche encore son peuple de profiter des bienfaits du capitalisme sauvage. Bien fait pour lui que cette chute prémonitoire!



Détresse. Images et sons de l'otage Margaret Hassan lançant un appel déchirant, suppliant Tony Blair de retirer d'Irak les troupes anglaises. Qu'est-ce qu'une vie pour nos gouvernements d'économie globale? La vie de cette femme innocente, la vie de chacun des 800 innocents soldats britanniques en Irak, la vie des Irakiens hommes, femmes et enfants innocents... Des centaines d'innocents sacrifiés pour une poignée de terroristes qui chauffent à blanc l'économie pétrolifère et celle des sécurités nationales.


...


Je n'en peux plus : c'est trop d'émotion en un seul bulletin de nouvelles d'un jour comme les autres. Vraiment, les gens qui font l'information savent bien faire les choses pour nous émouvoir.



J'ai bien hâte au prochain journal télévisé; je suis ému rien qu'à y penser.



22 octobre 2004

La SRC, citoyenne

Je ne suis pas toujours tendre pour notre télévision publique parce que je crois qu'elle doit donner l'exemple d'une citoyenneté consciente et responsable, ce qu'elle ne fait pas en laissant nos 'amuseurs publics' tourner en dérision tout et n'importe quoi.



Cette semaine, la Société Radio-Canada se tient debout.



D'abord, en mettant la convergence interne en branle pour nous faire prendre conscience et faire prendre conscience à nos dirigeants que nos hôpitaux se sont détériorés au point de nous rendre malades -- ou plus malades -- parce qu'ils sont devenus dans bien des cas des milieux de propagation du clostridium difficile mortel. L'opération semble donner des résultats : nos gouvernements annoncent qu'ils vont agir. Mais il aura malheureusement fallu que des centaines de Québécoises et de Québécois en meurent pour que les choses bougent. Je rappelle ici cette conclusion de l'étude américaine Death by Medicine dont j'ai fait mention il y a quelques mois : le système de santé moderne constitue la cause première de décès de la population.



Autre bon coup de la SRC cette semaine sur le plan de la citoyenneté : nous faire mieux connaître nos voisins du Sud à l'occasion des élections à la Présidence. D'abord en mettant en ligne un dossier bien documenté dans radio-canada.ca. Puis, en diffusant la série Comment ça va aux États? au Téléjournal/Le Point. La prolifération en toute légalité des armes de poing les plus destructrices dont on faisait état hier n'a rien de rassurant. Ajoutez à cela la petite armée qui surveille notre frontière commune à quelques pas d'ici « to provide an additional level of security for Canadian citizens »... Ce genre d'informations nous sort de notre aveuglement naïf et nous amène à nous questionner sur l'avenir de la souveraineté pacifique canadienne.



Voilà deux belles illustrations de ce dont est capable la SRC, citoyenne. Je tenais à le souligner.



21 octobre 2004

L'apprenance?

    « Les terrains de l'apprenance multiplient leurs usages pour apprendre en tout lieu, en tout temps et tout au long de la vie. » (Martine Jaudeau, dans Thot, nouvelles de la formation à distance, édition du 21 octobre 2004


L'apprenance? Une recherche dans Google donne 205 résultats pour ce néologisme. En parcourant quelques articles, je découvre que dans le monde universitaire, on est au bord d'une véritable révolution, celle de l'université apprenante. Hélène Trocmé-Fabre écrit dans un article intitulé Apprendre aujourd'hui, dans une Université apprenante :



Le mot "apprentissage" doit céder la place au mot "apprenance", qui traduit mieux, par sa forme même, cet état d'être-en-train-d'apprendre, cette fonction de l'acte d'apprendre qui construit et se construit, et son statut d'acte existentiel qui, véritablement, caractérise l'acte d'apprendre, indissociable de la dynamique du vivant.


Sur le site de l'OTE, l'Observatoire des technologies pour l'éducation en Europe (où je reviendrai fouiner), je vois que dans son livre Réinventer le métier d'apprendre, Hélène Trocmé-Fabre a écrit :
« ...l'idée que certains ne sont pas ou plus capables d'apprendre doit être abandonnée : celui qui n'apprend pas est seulement celui qui croit ne pas pouvoir le faire. Pour surmonter cette croyance, il faut substituer à la relation classique maître-élève un processus qui amène l'apprenant à participer à l'émergence du sens et à "investir la complexité de la vie". »


J'en conclus que nous sommes tous en apprenance. Voilà qui rejoint ma conception de la culture.



Selon Hugues Bertrand, le mot apprenance est d'origine québécoise :


...le partage de connaissances, la réflexion sur le travail, la communication, toutes choses qui font partie de cette notion "d'apprenance" selon l'expression québécoise, qui me paraît la mieux désigner ce que nous cherchons à stimuler lorsque nous parlons de "formation tout au long de la vie", qui est plutôt "l'apprenance tout au long de la vie."


En poussant plus loin mon exploration de l'apprenance, je découvre que pour Jacques Chaize c'est une des clés de l'entrepreneurship d'aujourd'hui :
L'apprentissage est à la fois un enseignement et une quête de savoir. Le néologisme " apprenance " indique ce double mouvement de la volonté individuelle des hommes qui veulent développer leurs compétences, pour améliorer leur valeur pour le client autant que leur irremplaçabilité et celui de l'entreprise qui trouve le temps, l'espace et l'énergie pour renouveler son capital de savoirs. L'apprenance, c'est la réponse à la nécessité pour l'entreprise de développer l'intelligence collective et à la nécessité pour chacun d'entre nous de cultiver et d'accroître ses propres compétences.


Poursuivant cette piste, j'aboutis chez Solfrance, société fondée par Jacques Chaize, qui s'est donnée comme mission de promouvoir le concept d'entreprise apprenante. Il y a là une surprenante Grille de l'apprenance dont je retiens la partie qui énumère les signes culturels de l'apprenance en entreprise :
  1. L'entreprise encourage toute initiative pour apprendre par l'observation de ce qui se fait de mieux ailleurs (benchmarking, meilleures pratiques).

  2. Le droit à l'erreur est accepté à tous les niveaux.

  3. Il existe un climat d'ouverture et d'accessibilité de l'information au plus grand nombre.

  4. Les managers sont à l'écoute des idées des autres.

  5. Les succès ou échecs des projets sont utilisés comme des occasions d'apprendre individuellement et collectivement.

  6. L'approche systémique des problèmes est largement pratiquée.


Malgré les réserves de Jean-Michel Gaudin sur le terme apprenance dans son Dicomoche, j'adhère totalement à partir d'aujourd'hui au concept d'apprenance, sinon au mot lui-même (que les linguistes se prononcent sur la question!). Il y a dans ce concept que je trouve parfaitement adapté au siècle des technologies de l'information et des communications un espoir que ni la scolarisation obligatoire ni la formation continue n'arrivent encore à allumer parce que trop à sens unique, trop l'apanage d'une minorité, mal adaptées aux réalités du monde travail en 2004...



Mais sommes-nous assez mûrs pour l'apprenance?



20 octobre 2004

La queue du mulet

Un de mes profs de français, conteur à ses heures, nous avait raconté un jour l'histoire d'un mulet pour illustrer l'opiniâtreté.



Un mulet broutait dans un beau grand champ dont l'herbe verte aurait pu nourrir tout un troupeau. Soudain, au loin, un muret de vieilles pierres attira son attention. C'était un brise-vent construit jadis par un berger frileux. Comme il n'y avait qu'un mur dans tout le paysage, cela l'intrigua et il voulut le voir de plus près : les mulets sont curieux. À mesure qu'il s'approchait du mur, ce dernier lui apparaissait de plus en plus long et de plus en plus haut. Si bien qu'il ne vit bientôt plus que les pierres du muret et s'imagina que le pré avec l'herbe hors de sa vue étaient de l'autre côté du mur : c'est que les mulets sont aussi bornés. Déterminé de le faire tomber pour retrouver son pâturage, il s'attaqua au mur à grands coups de tête de mule. Et vlan et vlan et vlan... mais le mur ne bronchait pas. Le lendemain, quelqu'un passant par là vit un spectacle étrange : un bout de queue au beau milieu du mur qui martelait, martelait, martelait sans arrêt la même pierre...



Je me suis rappelé cette histoire ces jours derniers en entendant les ténors péquistes ramener l'idée d'un référendum comme enjeu de la prochaine élection provinciale. Je ne m'habitue pas à la démocratie incohérente péquiste. Nous avons rejeté par deux fois l'indépendance du Québec : pourquoi leur faut-il un troisième référendum pour en prendre note? Ne devraient-ils pas plutôt faire le bilan de leur dernier passage au pouvoir sur le plan démocratique? Quel est ce mur sur lequel ils s'acharnent? Le Québec d'aujourd'hui n'est plus en compétition avec le reste du Canada mais avec l'Amérique et le monde entier.



Ce dont nous avons besoin maintenant, c'est d'un projet plus grand que Québécois. Un projet francophone. Les Québécois, parti et bloc, on fait leur temps. Nous ne sommes plus d'une province, nous ne sommes plus d'une religion ni d'une culture unique : seule la langue française nous distingue maintenant. Il serait temps qu'un parti en témoigne et en assure la défense et la pérennité sur tout le continent nord américain.


19 octobre 2004

Guérisons sur la montagne

    Aujourd'hui, on fête les cent ans de l'Oratoire Saint-Joseph sur le Mont Royal, oeuvre du frère André.


Je suis reconnaissant au frère André d'avoir contribué à la guérison de ma mère alors qu'elle était toute petite : je leur dois la vie.



Je lui suis également reconnaissant d'avoir érigé au coeur de la ville ce sanctuaire accueillant où on peut monter pour chercher la paix intérieure qui guérit presque tout.



18 octobre 2004

L'art de provoquer ou le rire jaune

Sous-jacent au show de Guy A. Lepage, Tout le monde en parle, il y a un leitmotiv constant : provoquer. Provoquer le public, provoquer les invités, provoquer Radio-Canada, provoquer une bonne cote d'écoute pour pouvoir continuer à provoquer la semaine d'après.



La provocation à la Guy A. Lepage est en même temps séduction. Elle passe d'abord par un choix habile d'invités dont il sait exploiter au montage le penchant exhibitionniste. Avec ses airs de 'bum' fortuné vraisemblablement intelligent, il sait aborder avec une désinvolture narquoise les sujets les plus controversés dans un langage où la vulgarité sied bien.



Guy A. Lepage est un provocateur-séducteur vedette. Il a réussi à séduire en les provoquant les salles du Québec et les fans du Walkman au temps de RBO, à séduire en les provoquant les gars et les filles du monde entier avec Un gars, une fille superémancipés, à séduire en les provoquant les artistes du show business en acérant leur gala annuel... Une feuille de route à vous clouer le bec! Et que dire du palmarès d'Avanti Ciné Vidéo, sa maison de production!



L'heure est maintenant venue de provoquer sans trop de risques les inconditionnels de Radio-Canada en occupant leurs beaux dimanches soirs et en leur lançant subtilement qu'ils en ont pour leur argent, c'est-à-dire pour trente sous du show. Trente sous fois vingt millions de contribuables canadiens, soit cinq millions de $ par show, c'est de la provocation bien payée.



Let's go, Guy A. : the show must go on! Le rire jaune rapporte gros au pays du désabusement.



17 octobre 2004

Sex without love?

Dave Pollard et Denise Bombardier parlent tous deux de sexe dans leur dernier texte. Et ils réussissent tous les deux à en parler sans utiliser une seule fois le mot amour. Je trouve cela étrange mais pas tellement étonnant. Le sexe médiatisé, lorsqu'on y pense, ne peut être que le sexe sans amour, le sexe commercialisable. Et c'est le sexe à la mode du jour.



Dave Pollard réussit à résumer en quelques paragraphes l'essentiel de ce que devrait être l'éducation sexuelle aujourd'hui. Cependant, son approche est uniquement axée sur le plaisir. Or, je crains que les incessants débordements du sexe publicisés ad nauseam dont parle Denise Bombardier ne soient justement causés par l'hypermédiatisation du plaisir et la quasi occultation de l'amour. Je m'aventure peut-être un peu en faisant cette affirmation, mais je suis convaincu que le paroxysme du plaisir sexuel ne peut être atteint que dans une démarche amoureuse pour le meilleur et pour le pire. Le plaisir sexuel augmente avec l'amour.



Dans une société de fast-food et de just-in-time, il n'est pas étonnant qu'on donne dans le just-fast-sex. Or, il n'y a rien de satisfaisant là-dedans. C'est comme manger et avoir toujours faim. Et ce ne sont ni les publicitaires, ni les médias qui feront la promotion de l'amour véritable. Tout simplement parce que l'amour véritable n'est pas très porté sur la consommation à tous crins.






16 octobre 2004

Technologie, art et l'argent

Depuis 15 jours, nous nous promenons avec des oeuvres d'arts en poche. Quatre oeuvres d'art sont en effet reproduites sur les nouveaux billets de banque de 20 dollars canadiens.



Curieux d'en savoir plus sur ces oeuvres, je suis allé sur le site de la Bank of Canada où j'ai appris que ces billets de banque ont pour thème : Arts et culture. J'ai aussi appris que les quatre oeuvres étaient de Bill Reid, artiste haïda. J'ai fait plus ample connaissance avec Bill Reid en consultant les archives de Radio-Canada.



Complètement subjugué par cet artiste, je me suis rendu au Musée virtuel du Canada où j'ai pu lire son histoire avec celles des Haïda et parcourir, en français, l'exposition « Les Haïdas et les esprits de la mer ».



J'ai voulu voir d'autres sculptures de Bill Reid. En faisant une recherche dans Google/images, j'ai pu rassembler des dizaines de reproductions de ses oeuvres en quelques secondes -- malgré qu'elles soient exposées dans plusieurs musées différents -- et les admirer, chacune dans son environnement.



Tout ça grâce à Internet que certains boudent pourtant encore, et à partir d'un simple 20 dollars tout neuf, perçu dans un guichet automatique! Mais est-ce qu'on peut parler ici de 'culture'?



Il y a aussi sur ce billet de banque une citation (secrète?) de Gabrielle Roy tirée de son roman La montagne secrète... Mais c'est là, une autre histoire!




15 octobre 2004

auxpommes.mmm

Publicité gratuite : 2,95 $ pour 8 livres de belles grosses pommes du Québec cette semaine chez Super C. C'est un excellent prix : moins de 37 cents la livre pour de belles McIntosh, Spartan ou Cortland (j'aime particulièrement ces dernières).


Pour une fois que le prix des pommes d'ici, catégorie de fantaisie, est raisonnable, profitons-en! Hors saison, on nous les vend jusqu'à cinq fois plus cher dans les supermarchés -- sans qu'un sou de plus n'aille aux producteurs, croyez-moi.


Le jour où il sera possible de télécharger des odeurs et des saveurs, je vais créer le site auxpommes.mmm. En attendant, une recherche avec 'aux pommes' donne 82 600 résultats dans Google... Mmm! Bon appétit!



14 octobre 2004

Pause automnale






Nos érables s'exposent
une dernière fois au soleil
avant de s'effeuiller.
La beauté est éphémère...

13 octobre 2004

Very Important Petite Vie

    RIP pour l'émission VIP à la SRC. L'idée de la mère faisant la critique des spectacles tonitruants à la mode était pourtant prometteuse. Un seul mot pour qualifier le reste de l'unique édition de VIP : brouillon. On nous annonce à la place une programmation de facilité, celle de rire en rappel des reprises de La petite vie. Chef d'oeuvre télévisuel québécois de l'absurde dont on ne se tanne pas comme si l'absurdité était une drogue.


L'absurdité est sans doute tolérable pour d'autres, mais pas pour moi. Je pense que l'absurdité fait partie de l'enjeu spirituel de cette fin de siècle, où il devient de plus en plus difficile de croire en quoi que ce soit. L'absurdité est un plaisir fugace, comme une cigarette que l'on fume en riant, tout en sachant qu'elle est nocive. C'est une drogue, mais une drogue hideuse car elle nous pousse à ricaner. Elle nous ôte tout sens des lois humaines, tout sens profond des valeurs, et nous éloigne notamment de la compassion, essentielle à la survie de l'homme. Quelqu'un d'indifférent peut être ému par la souffrance d'un autre: «Ce qui lui arrive est si triste», pense-t-il alors. Mais l'absurdité lui souffle au même moment: «Comment ça, triste? Cet homme est sans intérêt et il mérite ce qui lui arrive.» C'est l'absurdité qui a permis l'existence des camps de concentration, parce qu'elle a en quelque sorte «habilité» des hommes à ricaner quand d'autres hommes vacillaient au moment d'entrer dans les chambres de la mort.

Entretien avec Norman Mailer, par Isabelle Fiemeyer, dans Lire, novembre 1995 (via Etolane, Médiatic)

12 octobre 2004

Désormais suspects

Hier, j'ai senti le besoin de partager avec quelqu'un d'ailleurs nos paysages harmonieux et particulièrement colorés à ce temps-ci de l'année. À l'horizon, là où le faîte des arbres semble atteindre les nuages (voir les photos d'hier), à moins de deux kilomètres, ce n'est plus Saint-Armand, ni le Québec, ni le Canada; c'est le Vermont, USA.



Il y a quelques semaines, j'ai traversé la frontière pour la première fois depuis septembre 2001, aux 'petites douanes' locales de Morse's Line, tout près d'ici. Ce poste frontière est très peu achalandé, l'état de la route 235 qui y mène en témoigne : les herbes poussent à travers la chaussée. En cela, rien de changé depuis toujours. L'accueil au poste frontalier n'est cependant plus ce qu'il était : deux douanières m'y attendaient, ostensiblement armées -- il n'y avait qu'un agent, il y a trois ans, non armé selon toute apparence --; l'une procéda à l'interrogatoire d'usage pendant que l'autre faisait le guet, la main sur l'étui de son pistolet, l'oeil en vigie; il m'a fallu remettre mon permis de conduire, attendre que l'agente aille à l'intérieur pour en faire je ne sais quoi (une copie?). On m'a même formellement interdit de sortir du véhicule et d'entrer dans le bureau... Il y a trois ans, au même endroit, nous aurions parlé de la pluie et du beau temps. Je ne l'ai pas 'pris personnel', mais j'ai compris. J'ai compris que désormais tous les Non-Américains sont suspects aux yeux de nos voisins du Sud, même les frontaliers de souche.



Il y a quelques jours, les médias annonçaient que la surveillance serait renforcée tout le long de la frontière nord des États-Unis, de la même façon qu'elle l'est depuis des décennies le long de la frontière mexicaine. La Chambre des Représentants a voté un budget de 235 millions de $ US pour doter les États du nord de cinq bases militaires avec du personnel permanent, des hélicoptères et des avions de reconnaissance. La base de Plattsburgh NY vient tout juste d'amorcer ses activités après avoir été inaugurée officiellement le 8 octobre par Hillary Clinton.



Border patrol agents say they have noticed more air smuggling efforts over the border recently. Just as pilots fly drugs in from Mexico, authorities fear planes carrying terrorists or explosives could come over the northern border. "Vehicles, boats and airplanes that carry drugs or illegal immigrants can just as easily carry terrorists or weapons of mass destruction," said Charles Stallworth, director of Air and Marine Operations. (Boston.com)


Je concède que la situation internationale favorise ce que j'appellerais la militarisation de la surveillance frontalière du côté américain. Je crois cependant que ces mesures constituent en même temps une menace pour la souveraineté du Canada. La déclaration de Gary Bracken, représentant de l'AMO, en fait foi :



Gary Bracken, with U.S. Immigration and Customs Enforcement's Air and Marine Operations, said beefing up enforcement in the air, on land and sea will enhance safety for Canadians. "Illegal activity goes both ways," Bracken said. Security afforded Americans by the new facility "reaches across to provide an additional level of security for Canadian citizens." "Illegal activity in either direction is stopped." (The Canadian Harm Reduction Network)


Je la traduirais ainsi : « Les Canadiens sont incapables d'assurer leur sécurité territoriale; nous la prenons en main. » J'espère que le gouvernement canadien n'est pas dupe dans cette affaire; j'espère qu'il ne nous dupe pas non plus. Après l'occupation économique et culturelle américaines, une occupation militaire serait-elle en train de tenter nos voisins? On peut se le demander en comparant les effectifs des Forces canadiennes à celles qui sont et seront progressivement déployées le long de notre frontière pour 'notre' sécurité...



Air and Marine Operations (AMO) headquarters is composed of Enforcement Operations, Acquisition and Maintenance, Mission Support and Safety Teams. The field organization includes 10 Air and Marine Branches, 2 Surveillance Support Branches, 11 Air Units and 16 Marine Units, located across the southern tier of the United States and Puerto Rico. In the fall of 2004, AMO will open two new branches, located in Bellingham, Washington, and Plattsburgh, New York, to address threats along the Northern Border. AMO also operates a Training and Standardization Branch in Oklahoma City and the Air and Marine Operations Center at March ARB, California. AMO has over 1,000 employees and a fleet of 134 aircraft and 72 vessels.

11 octobre 2004

10 octobre 2004

À la survie de Jacques Derrida

En souvenir de Jacques Derrida, philosophe du 'survivre', qui vient de décéder à l'âge de 74 ans.

Je me suis toujours intéressé à cette thématique de la survie, dont le sens ne s'ajoute pas au vivre et au mourir. Elle est originaire : la vie est survie. Survivre au sens courant veut dire continuer à vivre, mais aussi vivre après la mort. À propos de la traduction, Walter Benjamin souligne la distinction entre überleben d'une part, survivre à la mort, comme un livre peut survivre à la mort de l'auteur, ou un enfant à la mort des parents, et, d'autre part, fortleben, living on, continuer à vivre. Tous les concepts qui m'ont aidé à travailler, notamment celui de la trace ou du spectral, étaient liés au "survivre" comme dimension structurale. Elle ne dérive ni du vivre ni du mourir. Pas plus que ce que j'appelle le "deuil originaire". Celui-ci n'attend pas la mort dite "effective".


Apprendre à vivre, c'est toujours narcissique : on veut vivre autant que possible, se sauver, persévérer, et cultiver toutes ces choses qui, infiniment plus grandes et puissantes que soi, font néanmoins partie de ce petit "moi" qu'elles débordent de tous les côtés. Me demander de renoncer à ce qui m'a formé, à ce que j'ai tant aimé, c'est me demander de mourir. Dans cette fidélité-là, il y a une sorte d'instinct de conservation. Renoncer, par exemple, à une difficulté de formulation, à un pli, à un paradoxe, à une contradiction supplémentaire, parce que ça ne va pas être compris, ou plutôt parce que tel journaliste qui ne sait pas la lire, pas lire le titre même d'un livre, croit comprendre que le lecteur ou l'auditeur ne comprendra pas davantage et que l'Audimat ou son gagne-pain en souffriront, c'est pour moi une obscénité inacceptable. C'est comme si on me demandait de m'incliner, de m'asservir - ou de mourir de bêtise.


Apprendre à vivre, cela devrait signifier apprendre à mourir, à prendre en compte, pour l'accepter, la mortalité absolue (sans salut, ni résurrection ni rédemption) - ni pour soi ni pour l'autre. Depuis Platon, c'est la vieille injonction philosophique : philosopher, c'est apprendre à mourir. Je crois à cette vérité sans m'y rendre. De moins en moins. Je n'ai pas appris à l'accepter, la mort. Nous sommes tous des survivants en sursis (et du point de vue géopolitique de Spectres de Marx, l'insistance va surtout, dans un monde plus inégalitaire que jamais, vers les milliards de vivants - humains ou non - à qui sont refusés, outre les élémentaires "droits de l'homme", qui datent de deux siècles et qui s'enrichissent sans cesse, mais d'abord le droit à une vie digne d'être vécue). Mais je reste inéducable quant à la sagesse du savoir-mourir. Je n'ai encore rien appris ou acquis à ce sujet. Le temps du sursis se rétrécit de façon accélérée.


L'amour en général passe par l'amour de la langue, qui n'est ni nationaliste ni conservateur, mais qui exige des preuves. Et des épreuves. On ne fait pas n'importe quoi avec la langue, elle nous préexiste, elle nous survit. Si l'on affecte la langue de quelque chose, il faut le faire de façon raffinée, en respectant dans l'irrespect sa loi secrète. C'est ça, la fidélité infidèle : quand je violente la langue française, je le fais avec le respect raffiné de ce que je crois être une injonction de cette langue, dans sa vie, son évolution. Je ne lis pas sans sourire, parfois avec mépris, ceux qui croient violer, sans amour, justement, l'orthographe ou la syntaxe "classiques" d'une langue française, avec de petits airs de puceaux à éjaculation précoce, alors que la grande langue française, plus intouchable que jamais, les regarde faire en attendant le prochain.


Chaque fois, si fidèle qu'on veuille être, on est en train de trahir la singularité de l'autre à qui l'on s'adresse. A fortiori quand on écrit des livres d'une grande généralité : on ne sait pas à qui on parle, on invente et crée des silhouettes, mais au fond cela ne nous appartient plus. Oraux ou écrits, tous ces gestes nous quittent, ils se mettent à agir indépendamment de nous. (...) Au moment où je laisse (publier) "mon" livre (personne ne m'y oblige), je deviens, apparaissant-disparaissant, comme ce spectre inéducable qui n'aura jamais appris à vivre. La trace que je laisse me signifie à la fois ma mort, à venir ou déjà advenue, et l'espérance qu'elle me survive. Ce n'est pas une ambition d'immortalité, c'est structurel. Je laisse là un bout de papier, je pars, je meurs : impossible de sortir de cette structure, elle est la forme constante de ma vie. Chaque fois que je laisse partir quelque chose, je vis ma mort dans l'écriture. Épreuve extrême : on s'exproprie sans savoir à qui proprement la chose qu'on laisse est confiée. Qui va hériter, et comment? Y aura-t-il même des héritiers? C'est une question qu'on peut se poser aujourd'hui plus que jamais. Elle m'occupe sans cesse.


Jacques Derrida : "Je suis en guerre contre moi-même", dans Le Monde, édition du 18 août 2004










09 octobre 2004

La famille macroéconomique

    Bref essai pour comprendre le système.


L'homme est une banque. La femme est un centre commercial ou d'affaires. On trouve cependant de plus en plus de femmes banques et d'hommes centres d'affaires. Pour que le système fonctionne, il faut la rencontre des deux en grand nombre, c'est-à-dire le plus grand nombre de couples banque-centre d'affaires. Le système n'est pas regardant sur le sexe.



Et l'enfant? L'enfant assure la pérennité du couple banque-centre d'affaires. Il découle du couple standard homme-femme et en dépend jusqu'à sa prise en charge par le système. L'enfant ne doit surtout pas interférer dans le couple. L'enfant est donc le gouvernement.



08 octobre 2004

« Je me souviens » ou « Je m'en crisse »?

Le sort dévolu à nos églises en dit long sur l'état actuel de nos valeurs collectives. Sauf exceptions, on les laisse tomber en désuétude et en ruines ou on les sacrifie aux plus offrants.



Pourtant nos églises ont été les assises de nos villes et de nos villages; longtemps, elles en ont même été les phares. Les paroisses ont existé bien avant les municipalités. Pour bien marquer leur lieu d'appartenance, nos ancêtres défricheurs s'adressaient à l'évêché pour qu'il décrète officiellement que leur coin de pays devienne une nouvelle paroisse avec un nom de saint ou de sainte bien à elle -- à la mode du temps --, et pour demander qu'un curé vienne s'y installer pour s'occuper de leurs âmes et des affaires qui s'y greffent. Pour montrer à l'évêque qu'ils étaient sérieux, que la nouvelle paroisse serait là pour durer, ils s'engagaient à construire une église. Sitôt l'autorisation obtenue de fonder une nouvelle paroisse avec un nom bien à elle, ils organisaient une grande corvée pour bâtir une église, nos ancêtres, marquer à jamais l'événement dans la pierre et se donner un lieu de rassemblement à la mesure de leur coeur et de leur foi en l'avenir et en Dieu (ce qui revient au même). Dans chaque paroisse devenue depuis municipalité, quartier puis arrondissement, l'église a été un lieu identitaire, un lieu d'appartenance. Nos ancêtres y ont vécu les événements marquants de la dure vie que fut la leur, l'acceptant ainsi pour faciliter la nôtre. Ils étaient fiers de leur église : ils y amenaient leurs nouveau-nés pour les inscrire fièrement dans le registre de la paroisse, ils venaient y consacrer fièrement leurs épousailles, ils s'y rassemblaient fièrement pour célébrer les grandes fêtes. C'est à l'église qu'ils venaient les dimanches se serrer les coudes. C'est la cloche de l'église qui rythmait leur vie et en sonnait le glas. C'est à l'église en ces temps-là ouverte en tout temps qu'ils venaient se réfugier les jours de peine et de douleur pour y voir clair et y trouver espoir. Et c'est à l'ombre de l'église, qu'ils enterraient leurs morts pour que leur âme reste proche au moins en souvenir.



Mais ça, c'était il y a longtemps. Nous avons fait depuis la révolution tranquille et tranquillisante. Le sort de nos églises reflète tellement bien l'état actuel des valeurs québécoises. Nos ancêtres, ce qu'ils ont fait pour nous et ce qu'ils nous ont légué, on s'en fout : le mot ancêtre n'apparaîtra bientôt plus dans les dictionnaires. La fierté de notre patrimoinem, on s'en fout : les musées ne sont pas rentables, alors... La responsabilité citoyenne et collective, on s'en fout : le gouvernement, la police et l'armée, c'est pas là pour rien! Les paysages ruraux et urbains que nous ont légués nos ancêtres défricheurs et bâtisseurs, on s'en fout : qu'est-ce que ça donne, les paysages sont toujours beaux à la télé.



Identité? Consommateur voteur. Adresse? Village global. Appartenance? J'appartiens à ma banque, à mon employeur et à mes gouvernements. Devise : « Je me souviens »? Non. Je m'en crisse.



Si la devise du Québec était encore « Je me souviens », le gouvernement obligerait les élus municipaux qui ne le font pas à prendre la relève des marguillers lorsque ces derniers ne peuvent plus s'occuper d'une église, et à lui trouver une vocation communautaire.



Inventaire des lieux de culte du Québec


07 octobre 2004

Existe-t-il un collectivisme québécois?

En marge de l'entrevue de Pierre Maisonneuve avec Mario Vargas Llosa hier midi, je dépose ici quelques notes, de mémoire. Il faut absolument que je prenne le temps de l'écouter de nouveau : ce sont des sujets vraiment importants dans le contexte québécois.



    L'identité culturelle. Mario Vargas Llosa croit que ce qu'on appelle identité culturelle est plutôt du collectivisme. Or, le collectivisme se caractérise par l'exclusion et peut mener à tous les dérapages, jusqu'au facisme. Associer l'identité culturelle à un État, c'est mettre les artistes et les intellectuels au service de cet État. Pour lui, l'identité culturelle est et doit être individuelle pour rester ouverte et libre.


    Les intellectuels. Selon Mario Vargas Llosa, les intellectuels ne devraient jamais dépendre de l'État. À partir du moment où ils sont payés par l'État, ils ne peuvent plus jouer leur rôle de façon objective et crédible. Les intellectuels subventionnés ne peuvent pas être des libres-penseurs. Or, le premier rôle des intellectuels, c'est de jeter un regard critique sur l'évolution de la société et de l'État, et d'en dénoncer les dérapages.


Deux questions m'interpellent après avoir écouté Mario Vargas Llosa. Est-ce du collectivisme que de vouloir protéger et défendre la culture québécoise? À quoi faut-il attribuer le silence de nos artistes et de nos intellectuels sur les questions sociales et politiques, particulièrement depuis le dernier référendum?



COLLECTIVISME, subst. masc. 1. Système d'organisation sociale fondé sur la mise en commun (au profit de l'État ou de groupements plus restreints : coopératives ouvrières, communautés villageoises, cantonales, etc.) des moyens de production et généralement aussi de consommation non immédiate. 2. P. ext. Système qui admet une intervention de l'État dans le domaine économique (production, structures) par le moyen de planifications et de nationalisations. Rem. Collectivisme est employé avec une nuance péj. par les adversaires du socialisme, pour lesquels collectivisme implique l'idée de négation des droits de l'individu et s'opposent dès lors à individualisme et à libéralisme.


06 octobre 2004

Sain, sain, simple

« D'ici quelques années, une personne sur deux mourra du cancer. » C'est ce qu'on affirmait hier au RDI (ou peut-être sur LCN, mais peu importe), entre deux nouvelles. Un fait divers, comme s'il était normal que le cancer en vienne à remplacer la mort naturelle comme première cause du rajeunissement de notre population. Le cancer est d'ailleurs devenu tellement normal qu'on peut suivre son évolution en direct.



En même temps, drôle de coincidence, on investit comme jamais dans le système 'de santé' : près de 50 % de nos taxes et impôts y passent. Petit calcul avec mon GBS : la moitié de cet argent va au cancer.



En même temps, on nous répète sur tous les tons dans les médias qu'il n'y a pas cinquante façons de prévenir le cancer : puisque nous devenons ce que nous mangeons, il suffit de bien manger, de manger légumes et fruits en choisissant les 'bio' et 'anti-oxydants'.



En même temps -- et ce n'est pas une coincidence --, la société libérale et libre favorise l'alimentation industrielle en boîtes et en sachets : ça ne sent rien, c'est plus pratique pour faire notre marché, plus facile à barcoder et à mettre sur les tablettes des supermarchés, plus propre à transporter, plus simple à entreposer, plus rapide à cuisiner et plus désagréable à manger (pourquoi pensez-vous qu'on mange de plus en plus vite).



Bref, la boîte, c'est le progrès. Et comme le cancer, le progrès ne s'arrête pas malgré toutes les recherches qu'on y consacre.



Consciencieusement, les mégacompagnies qui pourvoient à notre alimentation inscrivent sur les boîtes et les sachets la liste des ingrédients de ce qu'ils nous concoctent. Une liste bilingue, très scientifique si on en croit le vocabulaire utilisé et aussi illisible que les termes d'un contrat de financement. Résultat : même si le contenu des boîtes et des sachets de notre alimentation industrielle est décrit sur les étiquettes, nous ne savons pas vraiment ce que nous mangeons et encore moins si c'est meilleur pour notre santé ou pour celle de la marque bien en vue sur l'étiquette.



Si nos gouvernements étaient sérieux et se souciaient le moindrement de notre santé, ils réagiraient énergiquement pour freiner l'invasion du cancer et se préoccuperaient au premier chef de notre alimentation. La première chose qu'ils devraient exiger de l'industrie alimentaire, c'est d'étiquetter autrement et lisiblement leurs produits en y mettant l'information qui nous permette de distinguer les aliments sains des aliments à risques ou douteux. L'étiquetage non équivoque imposé aux cigarettiers devrait être généralisé à toute l'industrie alimentaire.







05 octobre 2004

Lâchez pas, les profs!

Le 5 octobre a été décrété par l'Unesco Journée mondiale des enseignants. Pour la grande majorité des enfants et des parents, une telle reconnaissance va de soi. Pour ceux et celles dont on souligne le travail, une telle journée en est une de réflexion devant le sort qui les attend dans un monde en transformation. D'autres tairont tout simplement la chose, de peur de devoir rendre hommage à ces personnes qui empêchent que l'éducation ne devienne un simple produit, transformable selon les besoins immédiats, et un exercice perpétuellement variable. Pourtant, qui d'entre nous ne reconnaît pas qu'il ou elle est devenu ce qu'il est souvent grâce à cette présence devant le tableau noir?

Journée mondiale des enseignants - Merci!, par Normand Thériault, dans ledevoir.com, édition du samedi 2 et du dimanche 3 octobre 2004

Serions-nous en train de préparer une génération de non-lecteurs?

L'éditorial de Josée Boileau dans ledevoir.com d'hier, Lira-t-on demain?, m'a amené à télécharger le rapport de l'Observatoire de la culture et des communications du Québec sur la place de la lecture chez nous. Comme à l'accoutumée et faute de temps, j'ai parcouru la table des matières et lu attentivement (en surlignant les passages à relire) l'introduction et la conclusion. L'auteur nous laisse avec ces observations qui sonnent un peu étranges en ce 20e festival de la poésie :
La lecture est en régression dans l'ensemble de la population sous la double montée de la programmation des médias électroniques et de l'offre dans les autres formes de divertissement. Ces produits viennent concurrencer la lecture dans ses fonctions informative et ludique. Cela pourrait expliquer pourquoi régresse la lecture régulière -- la lecture de divertissement en particulier -- et pourquoi se gonfle depuis quelques années la catégorie des non-lecteurs. Enfin, la lecture répond à des besoins de divertissement et d'information et elle est rarement une activité esthétique. Si la majorité des lecteurs lisent de temps à autre les grands auteurs, des essais et de la poésie, rares sont les passionnés de la grande littérature.

État des lieux du livre et des bibliothèques, par l'Observatoire de la culture et des communications du Québec, septembre 2004.

Belle occasion de réfléchir sur la lecture et le temps : j'y reviendrai parce que ces jours-ci, je n'ai ni le temps ni le coeur à lire 250 pages. Merci à l'Institut de la statistique du Québec d'avoir mis en ligne une version PDF de cet important document pour celles et ceux qui, comme moi, n'auraient pu le lire autrement.


04 octobre 2004

Le prix de l'eau

Je ne parlerai pas du prix du pétrole, tout le monde en parle; mais qui parle du prix de l'eau? Dans les supermarchés, il se situe quelque part entre 25 cents et 1 dollar et plus le litre, selon les formats. Pour de l'eau! Pour notre eau! Pour un produit naturel, non traité, sans additif ni colorant, 100 % pur : présumément.



Le sens commun me dit que cette eau devrait coûter moins cher que l'eau des aqueducs qui a été traitée et contient des additifs chimiques : pourquoi est-ce que ce n'est pas le cas?



Je suis surpris chaque fois que monte le prix de l'eau. Pourquoi cette augmentation? À qui vont les 5 ou 10 pourcent supplémentaires? Certainement pas aux gouvernements puisque l'eau n'est pas taxée, contrairement à l'essence. Mon dernier reçu pour 10 $ d'essence chez Ultramar indiquait noir sur blanc quelle part de ce montant va aux gouvernements : 3,63 $ (18,2 % pour Ottawa et 18,1 % pour Québec).



Quelqu'un peut-il m'expliquer comment il se fait que pour 1 $, dont 36,3 cents en taxes, je peux acheter un litre de pétrole pompé en Arabie Saoudite ou en Argentine, charrié en haute mer, raffiné aux États-Unis, amélioré par des additifs, et que pour de l'eau simplement pompée et mise en bouteille chez nous, à quelques kilomètres, il me faut payer le même prix, qui plus est, sans taxes donc sans aucune retombée collective? Quelqu'un sait-il où va tout cet argent que nous nous sommes condamnés à débourser à cause de notre inconscience et de notre incurie collective récentes -- d'autres porteurs d'eau le déplorent -- parce que nous sommes faits aux deux tiers d'eau et que l'eau est notre vital?



Ce grand silence collectif, cette résignation passive à payer (pour) a une teinte et une odeur de culpabilité. Incolore et inodore, notre eau?



À moins que mon GBS ne soit complètement déboussolé...



VITAL, Empl. subst. masc. Ce qui concerne ou constitue la vie. (TLFi)

03 octobre 2004

Paroles en l'air

Chacun de nous s'attend à ce que les journalistes informent. À ce que les femmes et les hommes politiques convainquent. À ce que les profs fassent apprendre. À ce que les prêtres fassent prier. À ce que les philosophes fassent réfléchir. À ce que les scientifiques fassent comprendre. À ce que les actrices et les acteurs émeuvent. À ce que les chanteuses et les chanteurs charment. À ce que les humoristes fassent rire.



Théoriquement.



Dans la réalité quotidienne de notre société de consommation-communication, ces rôles s'enchevêtrent, s'interchangent et vont jusqu'à se contrefaire pour attirer notre attention. Alors, on ne s'y retrouve plus : qui faut-il écouter?



Parmi toutes ces gens de parole, les humoristes ont la plus haute cote. Forcément, puisqu'ils nous font rire de tous les autres. Et les autres n'ont souvent d'autre choix, pour attirer l'attention, que celui d'essayer de faire rire. Mais à ce jeu, il y a des perdants : comment voulez-vous faire comprendre, faire apprendre et faire prier en riant? Chez les journalistes et les politiciens on s'en tire mieux sans doute parce que chez les uns et les autres il y a des équipes chargées de la mise en scène. Ça donne de la drôle d'information, mais on a au moins l'impression d'être informés. Ça laisse des doutes persistants sur les motivations politiques, mais on a tellement besoin de se laisser convaincre.



L'humour est le nouveau pouvoir. De là à dire que le pouvoir est aux humoristes, il n'y a qu'un pas que je n'ose franchir. Mais on peut se poser des questions sur le phénomène. Les humoristes et les 'amuseurs publics' qui occupent l'avant-scène de la radio et de la télé sont-ils conscients de leur influence, donc de leur pouvoir? Ont-ils assez de maturité pour juger des conséquences de leur paroles en l'air? Savent-ils la différence entre humour et dérision? Peut-on être humoriste responsable et ne pas dire n'importe quoi?



HUMOUR, subst. masc. Forme d'esprit railleuse qui attire l'attention, avec détachement, sur les aspects plaisants ou insolites de la réalité.


IRONIE, subst. fém. Figure de rhétorique par laquelle on dit le contraire de ce qu'on veut faire comprendre.


RAILLERIE, subst. fém. Manifestation d'ironie devant une situation ou un comportement que l'on déplore, dont on remet en cause le bien-fondé et que l'on juge ridicule.


DÉRISION, subst. fém. Moquerie, raillerie mêlées de mépris.


Source des définitions : Le Trésor de la langue français informatisé



02 octobre 2004

Les opportunistes du micro

Un aspect important n'a pas été abordé hier à la SRC pendant le reportage-choc de Zone libre sur La qualité du français parlé dans les médias. On y traitait des petits comiques mal engueulés de certaines radios qui carburent quotidiennement au 'joual' et à la vulgarité pour maintenir leur cote d'écoute.



Pourquoi ces radios ont-elles une si grande audience? Si grande que même des émissions télé emboîtent le ton pour ne pas être en reste? J'ai mon idée là-dessus.



C'est que nous sommes en train de devenir un peuple sans âme et sans fierté. Les opportunistes du micro l'ont compris avec leurs bailleurs de fonds, et profitent sans vergogne de notre désarroi culturel collectif.



Nos valeurs morales ont été piétinées et même reniées par des révolutionnaires tranquillement disparus. En toute légalité, nos ressources naturelles ont été pillées pour ce qui est des forêts, souillées pour ce qui est de nos lacs et rivières; notre air a été empoisonné par le progrès. Notre culture populaire a été ridiculisée et marginalisée par les 'top ten'; remplacée par des 'hits', du 'rock', du 'pop' et du 'rap' dont le sens est ailleurs mais qui marchent en nous déhanchant. Pour quelques plats de lentilles sans intérêts, notre économie est passée aux mains de financiers suceurs dont les bannières à consonance étrangère occupent sans gêne nos villes et nos banlieues et qui étouffent nos marchands sous leurs 'cheap labour low prices'. L'agroindustrialisation, la surpêche industrielle, la surexploitation de nos mines par des banques à physionomie humaine à s'y méprendre nous ont fait déserter nos régions et abandonner nos campagnes défigurées. La mise hors de prix de nos athlètes et de nos artistes devenus pros a fait de nous des adeptes de l'art et du sport infopublicitaires à notre portée. Notre langue aux accents dérangeants ne tient plus qu'à une loi de province cent une fois fragilisée. Notre cuisine populaire tient maintenant entre deux pains qui n'ont d'ailleurs de pain que le nom. Notre patrimoine est à l'abandon avec celles et ceux qui l'ont bâti ou à vendre chez des antiquaires d'outre-frontière. Nos écoles ferment par dizaines; nos familles, par centaines. Notre avenir démographique est laissé aux aléas de la statistique et des probabilités. Nos garçons et nos filles deviennent de moins en moins pères et mères parce qu'ils ne savent plus trop et pourquoi l'être plutôt que de se vendre -- pourquoi en effet faudrait-il perdre au change en mettant au monde des petits qui toute leur vie devront chercher l'âme et la fierté que nous leur avons perdues.


Mais heureusement il y a la télé et surtout la radio aux ondes bienfaisantes.


Nous sommes en train de devenir un peuple sans âme et sans fierté mais nos radios numéros uns (parce qu'il y en a plusieurs) gardent le moral. Le peu qui reste de notre âme de peuple agenouillé au pied du dieu Inc made in USA and China, les opportunistes du micro osent le manifester en notre nom, millions de Québécoises et de Québécois impuissants, humiliés, résignés mais passivement solidaires et lucides. En notre nom, cette radio peut jurer, sacrer, éclater de rire en envoyant chier le langage des instruits paralysés dans leurs chaires et des pleins dans leur cour boursière, laisser tomber leurs grands mots vides de sens, profiter plutôt du langage indigné de ce grand peuple à genoux d'avoir perdu sa fierté et son âme.



Et grands biens leur procure, ces hérauts audacieux et fougueux, d'exprimer haut et fort devant micro dans le confort de leur studio nos derniers soubresauts, nous aider à en rire avec eux entre deux pauses commanditées et quelques bruits de 'hip hop'... Car nous sommes peut-être un peuple sans âme et sans fierté, mais nous ne sommes pas encore sans-le-sou; il nous reste quelques miettes.



Bref, c'est pas d'hier qu'on peut dire et faire n'importe quoi sans se préoccuper de la fierté et de l'âme d'un peuple en autant que ce soit payant.


01 octobre 2004

Moyens d'évasion

Plus une prison grossit, plus il faut la sécuriser. Plus une prison est sécuritaire, plus on s'y sent en prison. Il faut donc l'agrandir pour s'y sentir plus à l'aise ou trouver toutes sortes de moyens pour s'en évader.



C'est la seule explication rationnelle que j'ai trouvée à ce jour pour comprendre la spirale de l'enrichissement.