- Cinquième et dernier volet d'un bilan-réflexion après trois cent soixante-cinq jours de billets quotidiens dans Franchement! et au bout de vingt-six mois d'essais et erreurs dans cinq autres blogues.
J'ai ouvert ce blogue le premier jour de janvier 2004 en pastichant Alain qui écrivait dans ses Propos sur le bonheur : « Agir, c'est oser. Penser, c'est oser. » En écrivant alors « Bloguer, c'est oser! », je n'aurais su mieux dire. Chaque jour, pour être fidèle au leitmotiv de ce blogue, il m'a fallu oser. Ce que je ne savais pas à ce moment et que je puis affirmer aujourd'hui, c'est que plus encore, bloguer, c'est créer des liens.
Et je ne trouve rien de mieux à faire à ce propos que de reproduire ici cette merveilleuse page écrite par Saint-Exupéry dans Le Petit Prince alors que j'étais au berceau. (En relisant cette page, vous comprendrez pourquoi, en 2005, je vais continuer à bloguer. Avec cependant, dès demain, un petit changement à la clé : Franchement! ne sera plus seulement monoBlogue mais aussi diaBlogue.) La scène se passe quelque part dans la blogosphère...
(...)
C'est alors qu'apparut le renard :
- Bonjour, dit le renard.
- Bonjour, répondit poliment le petit prince, qui se retourna mais ne vit rien.
- Je suis là, dit la voix, sous le pommier...
- Qui es-tu? dit le petit prince. Tu es bien joli?
- Je suis le renard, dit le renard.
- Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste...
- Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé.
- Ah! pardon, fit le petit prince.
Mais, après réflexion, il ajouta :
- Qu'est-ce que signifie " apprivoiser "?
- Tu n'es pas d'ici, dit le renard, que cherches-tu?
- Je cherche les hommes, dit le petit prince. Qu'est-ce que signifie " apprivoiser "?
- Les hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent. C'est bien gênant! Ils élèvent aussi des poules. C'est leur seul intérêt. Tu cherches des poules?
- Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Qu'est-ce que signifie " apprivoiser "?
- C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie "créer des liens...".
- Créer des liens?
- Bien sûr, dit le renard. Tu n'es encore pour moi qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde...
- Je commence à comprendre, dit le petit prince. Il y a une fleur... je crois qu'elle m'a apprivoisé...
- C'est possible, dit le renard. On voit sur la Terre toutes sortes de choses...
- Oh! Ce n'est pas sur la Terre, dit le petit prince.
Le renard parut très intrigué :
- Sur une autre planète?
- Oui.
- Il y a des chasseurs, sur cette planète-là?
- Non.
- Ça, c'est intéressant! Et des poules?
- Non.
- Rien n'est parfait, soupira le renard.
Mais le renard revint à son idée :
- Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m'ennuie donc un peu. Mais, si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde! Tu vois, là-bas, les champs de blé? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste! Mais tu as des cheveux couleur d'or. Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé...
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince :
- S'il te plaît? apprivoise-moi, dit-il.
- Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n'ai pas beaucoup de temps. J'ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.
- On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi!
- Que faut-il faire? dit le petit prince.
- Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'oeil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près...
(...)
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, Paris, Gallimard, collection Folio, 1999, p. 70-74.