20 septembre 2004

Pour en finir avec ceux qui tendent la main casquette

J'aime bien sortir de la campagne une fois de temps à autre, aller prendre l'air à Montréal. Jeudi soir dernier, j'ai pu stationner la Caravan '96 rue Sainte-Catherine face au Futureshop près du Carré Philips et m'accorder 40 minutes de liberté pour 1 $. En marchant sur le trottoir avec une centaine d'autres solitaires errants, je me suis mis à la recherche des nouveautés dans ce coin typique de la ville.



Une grande affiche attire d'abord mon attention sur la façade en décrépitude du défunt Sam The Recordman : on y annonce la mise en valeur de l'église St-James dont je vois plus loin parmi les vitrines la porte d'entrée surmontée d'une enseigne au néon, comme s'il s'agissait d'un commerce parmi d'autres. Verra-t-on enfin la cathédrale gothique surgir de l'arrière-cour où elle se cache depuis des décades? Deviendra-t-elle un autre musée de la religion tranquille? À moins qu'on ne veuille faire descendre le tourisme religieux de la montagne pour l'amener magasiner au centre-ville?



Besoin naturel pressant : je choisis le magasin La Baie pour le soulager en toute dignité. À peine entré, je suis immédiatement envahi par un éclairage aveuglant et un cocktail de parfums qui m'emmènent quelque part entre l'ennivrement et la suffocation. Plus de vendeuses que de clientes et de clients, toutes affairées à fignoler l'étalage tabernaculaire de leurs parfums aux noms audacieux et charmeurs : Angel, Cabotine, Allure, J'adore, Neiges, Opium, Coco; Swiss Army, Fahrenheit, Chrome, Eau sauvage, Hugo, Eternity et Chanel dont le No 5 résiste au temps... Ici et là, des flacons échantillons à disposition pour en faire l'essai devant des miroirs immaculés, question d'en voir l'effet sur soi sans doute. Après avoir enfin repéré avec l'aide d'un vendeur un peu empesé la pièce de résistance que je cherchais -- au deuxième, à gauche des ascenseurs, ça pourra peut-être vous être utile un jour! -- je retraverse en retenant mon souffle le sanctuaire des parfums pour retrouver l'air respirable de la ville.



En refaisant le trottoir vers l'est, plus lentement cette fois mais pas trop, parcomètre oblige, je suis trois fois encore interpellé par une casquette tendue. Et je réalise soudain que la mendicité n'est plus ce qu'elle était : on ne tend plus la main, debout au coin d'une rue, en disant « s'il-vous-plaît » et en vous regardant dans les yeux; on tend la casquette graisseuse, assis ou accroupi devant une vitrine, en grognant et sans vous regarder. Un de ces tendeurs de casquettes s'était même ficelé un carton sur la poitrine, sur lequel il avait inscrit à la main « Aidé moi ». Comme la plupart des passants, je n'avais pas de monnaie ce soir-là et je dus me contenter de leur souhaiter l'un après l'autre des jours meilleurs en mon fors intérieur.



Arrivé au parcomètre, je vis qu'il indiquait 'violation'. Tout près, le dernier croisé enfonçait sa casquette dans sa poche et essayait de se relever en titubant, visiblement fatigué de sa journée. Et je me demandai pourquoi on ne recyclerait pas les vieux parcomètres en casquomètres pour les mendiants : un passant y mettrait un huard bon pour 40 minutes, après quoi en voyant 'violation' apparaître, un autre pourrait faire de même... Personne n'aurait plus besoin de culpabiliser chaque fois qu'un mendiant lui présente sa casquette sur la rue Sainte-Catherine et qu'il est sans monnaie; il suffirait de quelques piétons ayant encore quelques sous et un peu de compassion pour s'occuper des mendiants en 'violation'.



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