18 janvier 2005

L'art d'insatisfaire

La langue a de ces étrangetés... J'ai cherché en vain le verbe insatisfaire dans les 992 dictionnaires de One Look. J'en conclus que le mot n'existe pas encore. Que l'insatisfaction, selon les normes admises, ne peut être qu'un état. Ce consensus des lexicographes m'est suspect : ne passons-nous pas une bonne partie de notre vie à insatisfaire.



La meilleure illustration s'en trouve dans la politique. On dit que la politique est l'art du possible. Je dirais plus exactement que la politique est l'art d'insatisfaire. Le blitz des derniers jours mené par notre ministre de l'Éducation, Pierre Reid, m'en a convaincu. Quatre annonces officielles en autant de jours. De quoi tenir la presse en haleine, soit; mais surtout, de quoi insatisfaire chaque jour un peu plus celles et ceux qui carburent au possible. Quatre jours, quatre annonces, quatre illustrations que la politique est l'art d'insatisfaire.



    Pour mes archives : hier, sursis à la survie des cégeps en leur déléguant un plus grand pouvoir d'exigence (ou de relâchement); le jour d'avant, investissement pour la réanimation des bibliothèques scolaires à la mode du 20e siècle (rappel : nous sommes au 21e); le jour avant celui d'avant, financement à 100 % des écoles privées les plus obstinément confessionnelles; le jour précédant le jour avant celui d'avant, ajustement des modalités de remboursement pour les jeunes nés de familles très hypothéquées, obligés de s'hypothéquer eux-mêmes pour faire des études supérieures.


Insatisfaire est bel et bien un art. En politique, c'est même l'art des arts puisque le résultat poursuivi est celui de satisfaire les attentes des électeurs à qui on a promis tout ce qui était possible. Insatisfaire dans le but de satisfaire. Amener les contribuables à se satisfaire de ce qui est insatisfaisant mais possible.



Insatisfaire est loin d'être le lot de la gent politique. Il ne se passe pas une journée sans que nous insatisfaisions quelqu'un ou que nous nous insatisfaisions nous-même. On ne parle pas ici d'un art cependant; simplement de l'évolution naturelle de tout individu, qui consiste à insatisfaire et à s'insatisfaire jour après jour de moins en moins.



Chez les politiciens, c'est autre chose : ils insatisfont à dessein, consciemment et en toute connaissance de cause. C'est pourquoi chez eux, insatisfaire est un art. Mais un art bien subtil; apparemment trop subtil pour les lexicographes.



ART, subst. masc. Ensemble de moyens, de procédés conscients par lesquels l'homme tend à une certaine fin, cherche à atteindre un certain résultat. (TLFi)



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