Suite d'une réflexion déclenchée par un billet de Mario sur les aléas de la réforme de l'enseignement : Quel paradigme? En post-scriptum, Mario est on ne peut plus clair sur ses attentes et ses appréhensions face à la réforme pour laquelle les profs ne sont pas suffisamment préparés :
J'ai crainte que la réforme ne deviennent qu'un changement de livre de référence. Le modus operandi de l'enseignement coopératif, la procédure de l'enseignement par projet et le code d'utilisation des tableaux de programmation, ça continue de rimer avec le paradigme de l'enseignement et je vois que dans certains milieux, on oblige les gens à essayer la pédagogie ouverte comme "une autre recette" qui est à la mode de ce temps et bien prometteuse de résultats. Et ces résultats seront désastreux mon cher... parce que ce ne sont que des outils, pas des recettes. Je comprends de la réforme qu'on demande aux pédagogues de s'offrir d'autres outils que le "je parle et tu m'écoutes". Je comprends aussi qu'on souhaiterait que les stratégies soient mises au service des intentions éducatives d'enseignants chevronnés qui SAVENT accoller des contextes signifiants aux tâches à offrir aux élèves. Utiliser ces outils de la pédagogie ouverte sans déménager de perspective risque d'être encore pire que de voir du contenu explicite en dehors d'un contexte signifiant.
Si toutes les directions d'école et les administrateurs scolaires de tous niveaux ont la même conscience des défis qu'impose la réforme aux enseignants, on peut cependant espérer que les mentalités évolueront dans le bon sens parce qu'ils mettront en place les moyens pour les faire évoluer. Là-dessus, pas un mot de Mario, sinon ce cri du coeur lucide et inquiet face à l'avenir de l'école :
Le fait est que nous ne pouvons nous gargariser que de nos réussites. J'ai bien peur que l'école doive faire face à des défis de taille dans les prochaines années pour rester signifiante auprès des jeunes qui la fréquentent, de leurs parents qui "la font fréquenter" et de la société qui la finance et "en profite" (théoriquement) par après.
La partie est loin d'être gagnée, d'autant plus qu'elle se joue dans un contexte d'incohérence totale. D'une part, la réforme met de l'avant une pédagogie ouverte axée sur une participation plus active de l'élève à son apprentissage; d'autre part, les profs, dixit Mario qui est bien placé pour le constater, sont encore dans le paradigme de l'enseignement magistral.
Mais il y a plus. Une pédagogie plus ouverte exige une école plus ouverte. Or, nos écoles sont à peine entrouvertes. Connaissez-vous une seule école qui a développé une réelle synergie avec la communauté dans laquelle elle a pignon sur rue? Les écoles ne sont-elles pas trop souvent des déversoirs d'enfants comme le sont aussi, trop souvent, pour nos plus jeunes les CPE (centres de la petite enfance) et, pour nos vieux, les CGA (centres du grand âge) et les CHSLD?
Et il y a plus encore. Une pédagogie plus ouverte est impensable sans une plus grande ouverture de la société même et de ses gouvernements. Or les règles du jeu au quotidien sont édictées à une table de négociation unique où tout se passe dieu sait comment mais à huis-clos comme au temps de la grande noirceur. Comme si on ne faisait pas le lien entre la convention collective qu'on veut imposer et la pédagogie qu'on veut implanter afin que l'école « reste signifiante auprès des jeunes qui la fréquentent, de leurs parents qui "la font fréquenter" et de la société qui la finance et "en profite" (théoriquement) par après ».
On demande aux profs de respecter à la lettre la convention collective qu'on leur a concoctée (et un temps décrétée), de suivre méticuleusement les directives administratives auxquelles ils sont astreints en tant que gestionnaires de classe, de se conformer aux horaires qu'impose l'informatique, la cafétéria et le transport scolaire, de suppléer en douceur à l'absence ou aux carences parentales, de relever le défi de la compétition des Gameboy et des iPod, du Web et de Google, de CKOI, CHOI et d'ExpressVu... et d'enseigner, d'enseigner ainsi imbriqués. Et, bien coincés comme des chevilles d'assemblage, de mettre en branle une pédagogie plus ouverte!
Il est peut-être temps qu'on regarde le décrochage, la violence, l'alcool, la vitesse au volant, la drogue, la sédentarité, l'obésité et le suicide chez les jeunes ainsi que la dénatalité autrement que par la lorgnette des statistiques et qu'on fasse les liens de cause à effet qui s'imposent. Une pédagogie plus ouverte, oui. Mais ce n'est pas sérieux sans une école plus ouverte, sans une société plus ouverte, sans des négociations plus ouvertes, sans plus d'oxygène (encore l'effet du smog)... Ou alors quelqu'un se paye tout en se payant notre tête quelque part!
Tu ne te trompes pas, Normand : « l'absence d'une philosophie de l'éducation se fait cruellement sentir. »