16 mai 2004

Pour exorciser l'horreur

Je ne pourrais pas vivre avec Denise Bombardier, mais j'aime bien écouter ses entrevues, voir ses reportages et lire ses chroniques dans Le Devoir : sur le plan des idées, on se rejoint étrangement. Son dernier topo sur l'horreur m'a pour ainsi dire apaisé : je ne croyais pas que quelqu'un puisse ainsi 'rationaliser l'horreur' (et une femme, par surcroît).


Sans doute parce que j'ai horreur des films d'horreur et des histoires d'horreur qui font régulièrement la manchette de certains médias. Quand l'horreur me rejoint, je ferme les yeux, je me bouche les oreilles, je prends littéralement mes jambes à mon cou ou je deviens sourd-muet-aveugle le temps que l'horreur passe. Il y a pour moi une incompatibilité entre la vie et l'horreur. Pourtant...


Hélas, l'horreur aussi est humaine. C'est une leçon qu'on apprend très vite, même si elle rebute notre foi en un monde meilleur. Cette conscience de l'inhumanité de l'homme départage souvent les optimistes des pessimistes. Les premiers traversent la vie blessés et heurtés de façon quasi permanente par les dérives humaines. Les seconds, paradoxalement, parce qu'ils ont tendance à toujours imaginer le pire, en arrivent à connaître des bonheurs furtifs, éblouis, en découvrant que l'héroïsme existe, que l'homme réussit à se surpasser, à se policer et à se dépouiller de ses instincts de tueur. (...)

L'homme ne devient un animal raisonnable qu'au terme d'un long combat contre ses instincts, ses peurs, ses désirs, son agressivité et son sens de la survie, parfois incompatible avec celle d'autrui. L'histoire nous enseigne depuis l'époque des Lumières que l'humanisme, seul rempart contre la barbarie personnelle et collective, est moins contagieux qu'on ne le croit. Le respect de l'autre, en particulier lorsqu'il s'agit de l'adversaire ou de l'ennemi du moment, exige un effort surhumain. (...)

Se croire soi-même à l'abri de toute barbarie relève à la fois de l'imprudence et du début de l'aveuglement. Car la vigilance est ici la première des vertus à acquérir.

« L'horreur », par Denise Bombardier, dans Le Devoir, édition du samedi 15 et du dimanche 16 mai 2004



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