J'ai connu l'apogée du père. C'était l'époque où le gouvernement gouvernait comme un père, où Dieu était Notre Père, où le pape était le Saint Père, où il y avait une cinquantaine de communautés de pères (chacun d'eux étant un père 'spirituel' dans son milieu) et où toute chose importante était faite « au nom du père et... ». C'était aussi l'époque où à peu près tout le monde avait un père pourvoyeur qui venait plus ou moins souvent faire acte de présence à la maison familiale : chez nous, c'était à l'heure des repas; chez d'autres, les fins de semaine ou de mois. Le reste du temps, le père devait ou disait travailler loin et longtemps pour pourvoyer. Mais même en son absence, le père était là : « Quand ton père va r'venir, lui va te parler et tu vas y goûter! »
J'ai aussi connu le déclin du père. Je pense que c'est venu d'un constat collectif quasi synchrone le jour où on s'est aperçu qu'il était bien loin le père, qu'il était bien absent et avait tort de l'être, et surtout qu'on pouvait facilement s'en passer; les pères, de leur côté, prenaient conscience que la paternité n'était pas rentable. Et cette conjoncture fit que Dieu, le gouvernement, le pape, les pères spirituels et les pères pourvoyeurs se mirent tous à 'dépèrir'. Il n'en fallait pas plus pour qu'en quelques dizaines d'années le père ne devint finalement qu'un concept folklorique. Mais dans le père, il y avait l'homme pour le supplanter. Le gouvernement se mit donc à gouverner selon les droits de l'homme. Dieu disparut; l'homme le remplaça. Le Saint Père devint un saint homme. Les communautés de pères spirituels cédèrent la place aux mâles psycho-, sexo- et autres monologuistes ainsi qu'aux humoristes, ces vrais hommes au rire franc et au franc parler. Et les pères pourvoyeurs ainsi délestés de leur rôle se résignèrent d'abord, puis prirent plaisir à vivre en hommes, c'est-à-dire à rester gars à perpétuité.
Aujourd'hui, quels pères fête-t-on au juste? Une espèce en voie de disparition dont les aspirations ont encore une certaine valeur marchande. L'État s'étant arrogé en prétextant la suppléance tous les devoirs du père avec le pouvoir inhérent, quel intérêt y a-t-il encore pour l'homme à paterniser?
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