17 décembre 2004

Vivre avec l'isolement

    Sur la lancée du billet de Mario à propos de l'isolement des profs. En bon directeur d'école qu'il est, il écrit :


« Je voudrais pouvoir briser l'isolement par un coup de baguette magique. Ce n'est que le désir ardent d'encourager qui apporte ce réflexe. Mais le vrai changement "durable" (...) est du côté de gestes d'éclat qui créent l'enthousiasme et l'émerveillement. »


Nous sommes tous constamment confrontés avec l'isolement. C'est écrit dans notre nature même : ne passons-nous pas les neuf premiers mois le corps effervescent au chaud dans un parfait isolement et notre vie ne s'achève-t-elle pas bon gré malgré le corps dégénérescent au froid dans un isolement inéluctable? Entre les deux nous passons nos journées avec plus ou moins de succès à sortir de ce corps pour vivre à deux ou entre deux, à chercher les contacts, à entrer en contact, à reprendre contact, à entretenir les contacts, à maintenir les contacts. Bref, à sortir de notre isolement, à échanger nos isolements en quelque sorte comme si, malgré notre origine et notre destinée, nous n'étions pas faits pour vivre seuls.



De contact en contact on and off, tu finis cependant par comprendre que chaque être vit le même isolement, que pour être il faut être isolé. Tu finis aussi par comprendre qu'on ne peut être vraiment bien qu'en étant bien isolé. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas sortir de soi pour être mieux encore ensemble. Tu finis enfin par comprendre qu'aucun autre que soi-même peut nous sortir de l'isolement, que nous avons à chaque seconde le choix d'être à on ou à off, d'être ouverts ou fermés.



L'isolement du prof n'est pas plus exceptionnel que l'isolement du pomiculteur ou que celui du fonctionnaire ou du professionnel à son compte. Comme l'isolement du parent, l'isolement du prof est cependant plus dramatique et plus déchirant : comment peut-on éduquer des enfants sans contacts? Comment peut-on aider vingt ou trente ou cent quatre-vingts jeunes devant ou autour de soi à tisser jour après jour leurs réseaux vitaux sans être soi-même en communication avec eux, en étant ou en se sentant ou en ayant l'impression d'être isolé?



Isolé, le pomiculteur peut faire croître ses pommiers; isolé, le fonctionnaire peut vaquer aux dossiers qu'un fonctionnaire supérieur lui a confiés; isolé, le professionnel à son compte peut faire avancer les contrats en cours; isolé, le prof, lui, est piégé. Je comprends qu'un directeur d'école veuille briser cet isolement paralysant mais je doute qu'il puisse vraiment le faire; tout au plus peut-il, et ce n'est pas rien, mettre en place un climat et des conditions favorables à l'établissement des contacts, comme certains « gestes d'éclat qui créent l'enthousiasme et l'émerveillement ».



Seul le prof, comme quiconque d'ailleurs, peut briser son propre isolement en étant bien avec et en restant allumé, le bouton à on. Parce qu'il faut vivre avec l'isolement; pas s'enfermer dedans, en laissant le bouton à off, et se laisser mourir avant le temps.



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