10 novembre 2004

Humour et humour

Humour -- Devinez comment j'ai trouvé la plus belle définition de l'humour à ce jour? En poursuivant mes réflexions sur la mort! Eh bien, oui : dans le Dossier sur la mort, le philosophe humoriste Doris Lussier (le 'père Gédéon', pour ceux et celles qui l'ont connu) nous donne sa conception de l'humour, une conception qui, si elle trouvait preneurs chez nos p'tits comiques -- qui glissent trop souvent dans la facilité et l'épaisseur --, donnerait au genre ses lettres de noblesse :



Je vais vous faire une confidence. J'aimerais mourir comme j'ai vécu: avec humour. L'humour, c'est l'état de grâce de l'intelligence. C'est la conscience de la relativité des choses humaines. C'est le premier mot de la culture et le dernier de la sagesse. Humour, humus, humilité, humain: quatre mots qui ont la même racine parce qu'ils signifient des réalités qui sont de même famille. L'humour, c'est le frère laïque de l'humilité. Et souvent le fils de la charité.


Grâce à l'humour, je me suis habitué à voir ma mort dans une perspective de sérénité amusée. Comme les vieux philosophes stoïques de l'Antiquité. Je suis même allé, l'autre jour, faire graver mon épitaphe chez un monumenteur de ma paroisse. Si, si... c'est vrai. L'épitaphe étant la dernière vanité de l'homme, j'ai fait inscrire sur ma pierre tombale les mots suivants: Doris Lussier, 1918 - (j'ai laissé l'autre date en blanc, pour ne pas provoquer la Providence) et j'ai fait écrire: "Je suis allé voir si mon âme est immortelle!".


(Doris Lussier, « La mort vivante », dans Le chant du cygne, Encyclopédie de l'Agora. Il est décédé en 1993.)


Et humour -- Ce genre d'humour se retrouve aujourd'hui, croyez-le ou non, dans Le monde diplomatique. Ce mensuel français des plus sérieux nous propose un texte de l'écrivain uruguayen Eduardo Galeano (ne pas confondre avec Galliano, s.v.p.!) intitulé : Sens dessus dessous. Une page à lire avec le sourire.
Énigmes (extraits)

- Pourquoi personne, pas même le Bon Dieu, ne peut comprendre ce que disent les experts en communication?

- Pourquoi les livres d'éducation sexuelle te coupent-ils toute envie de faire l'amour pendant plusieurs années?


Points de vue (extraits)

Du point de vue des autochtones, ce qui est pittoresque, c'est le touriste.

Du point de vue d'un ver de terre, une assiette de spaghettis est une orgie.

Utopies (extraits)

Nous allons porter les yeux au-delà de l'infamie, pour deviner un autre monde possible. Un autre monde où :

- les gens ne seront pas conduits par l'automobile, ni programmés par l'ordinateur, ni achetés par le supermarché, ni regardés par la télé;

- le téléviseur cessera d'être le membre le plus important de la famille, et sera traité comme le fer à repasser ou la machine à laver;

- les gens travailleront pour vivre au lieu de vivre pour travailler;

- on introduira dans le code pénal le délit de stupidité, que commettent ceux qui vivent pour posséder ou pour gagner, au lieu de vivre tout simplement pour vivre, comme un oiseau chante sans savoir qu'il chante et comme un enfant joue sans savoir qu'il joue;

- les économistes n'appelleront plus niveau de vie le niveau de consommation, et n'appelleront plus qualité de vie la quantité de choses;

- les historiens ne croiront pas que les pays sont enchantés d'être envahis;

- les politiciens ne croiront pas que les pauvres sont enchantés de se nourrir de promesses;

- la solennité cessera de croire qu'elle est une vertu, et personne ne prendra au sérieux l'individu incapable de rire de lui-même;

- la mort et l'argent perdront leurs pouvoirs magiques, et le décès ou la fortune ne feront pas d'une canaille un homme vertueux;

- nul ne sera considéré comme un héros ou un imbécile parce qu'il fait ce qu'il croit juste au lieu de faire ce qui lui convient le mieux;

- le monde ne sera plus en guerre contre les pauvres, mais contre la pauvreté, et l'industrie de l'armement n'aura plus d'autre solution que de se déclarer en faillite;

- la nourriture ne sera pas une marchandise, ni la communication un commerce, parce que la nourriture et la communication sont des droits humains;

- nul ne mourra de faim, car nul ne mourra d'indigestion;

- l'éducation ne sera pas le privilège de ceux qui peuvent la payer;

- la justice et la liberté, soeurs siamoises condamnées à vivre séparées, seront à nouveau réunies, épaule contre épaule;

- une femme noire sera présidente du Brésil et une autre femme, noire, présidente des États-Unis; une Indienne gouvernera le Guatemala et une autre, le Pérou;

- l'Église dictera aussi un autre commandement que Dieu avait oublié : « Tu aimeras la nature, dont tu fais partie »;

- les déserts du monde et les déserts de l'âme seront reboisés;

- la perfection restera l'ennuyeux privilège des dieux, mais, dans ce monde fou et foutu, chaque nuit sera vécue comme si elle était la dernière et chaque jour comme s'il était le premier.

Eduardo Galeano, « Sens dessus dessous », dans Le monde diplomatique, septembre 2004.






1 commentaire:

gilbert a dit...

question existentielles . t philosophiques seront toujours la