02 octobre 2004

Les opportunistes du micro

Un aspect important n'a pas été abordé hier à la SRC pendant le reportage-choc de Zone libre sur La qualité du français parlé dans les médias. On y traitait des petits comiques mal engueulés de certaines radios qui carburent quotidiennement au 'joual' et à la vulgarité pour maintenir leur cote d'écoute.



Pourquoi ces radios ont-elles une si grande audience? Si grande que même des émissions télé emboîtent le ton pour ne pas être en reste? J'ai mon idée là-dessus.



C'est que nous sommes en train de devenir un peuple sans âme et sans fierté. Les opportunistes du micro l'ont compris avec leurs bailleurs de fonds, et profitent sans vergogne de notre désarroi culturel collectif.



Nos valeurs morales ont été piétinées et même reniées par des révolutionnaires tranquillement disparus. En toute légalité, nos ressources naturelles ont été pillées pour ce qui est des forêts, souillées pour ce qui est de nos lacs et rivières; notre air a été empoisonné par le progrès. Notre culture populaire a été ridiculisée et marginalisée par les 'top ten'; remplacée par des 'hits', du 'rock', du 'pop' et du 'rap' dont le sens est ailleurs mais qui marchent en nous déhanchant. Pour quelques plats de lentilles sans intérêts, notre économie est passée aux mains de financiers suceurs dont les bannières à consonance étrangère occupent sans gêne nos villes et nos banlieues et qui étouffent nos marchands sous leurs 'cheap labour low prices'. L'agroindustrialisation, la surpêche industrielle, la surexploitation de nos mines par des banques à physionomie humaine à s'y méprendre nous ont fait déserter nos régions et abandonner nos campagnes défigurées. La mise hors de prix de nos athlètes et de nos artistes devenus pros a fait de nous des adeptes de l'art et du sport infopublicitaires à notre portée. Notre langue aux accents dérangeants ne tient plus qu'à une loi de province cent une fois fragilisée. Notre cuisine populaire tient maintenant entre deux pains qui n'ont d'ailleurs de pain que le nom. Notre patrimoine est à l'abandon avec celles et ceux qui l'ont bâti ou à vendre chez des antiquaires d'outre-frontière. Nos écoles ferment par dizaines; nos familles, par centaines. Notre avenir démographique est laissé aux aléas de la statistique et des probabilités. Nos garçons et nos filles deviennent de moins en moins pères et mères parce qu'ils ne savent plus trop et pourquoi l'être plutôt que de se vendre -- pourquoi en effet faudrait-il perdre au change en mettant au monde des petits qui toute leur vie devront chercher l'âme et la fierté que nous leur avons perdues.


Mais heureusement il y a la télé et surtout la radio aux ondes bienfaisantes.


Nous sommes en train de devenir un peuple sans âme et sans fierté mais nos radios numéros uns (parce qu'il y en a plusieurs) gardent le moral. Le peu qui reste de notre âme de peuple agenouillé au pied du dieu Inc made in USA and China, les opportunistes du micro osent le manifester en notre nom, millions de Québécoises et de Québécois impuissants, humiliés, résignés mais passivement solidaires et lucides. En notre nom, cette radio peut jurer, sacrer, éclater de rire en envoyant chier le langage des instruits paralysés dans leurs chaires et des pleins dans leur cour boursière, laisser tomber leurs grands mots vides de sens, profiter plutôt du langage indigné de ce grand peuple à genoux d'avoir perdu sa fierté et son âme.



Et grands biens leur procure, ces hérauts audacieux et fougueux, d'exprimer haut et fort devant micro dans le confort de leur studio nos derniers soubresauts, nous aider à en rire avec eux entre deux pauses commanditées et quelques bruits de 'hip hop'... Car nous sommes peut-être un peuple sans âme et sans fierté, mais nous ne sommes pas encore sans-le-sou; il nous reste quelques miettes.



Bref, c'est pas d'hier qu'on peut dire et faire n'importe quoi sans se préoccuper de la fierté et de l'âme d'un peuple en autant que ce soit payant.


Aucun commentaire: