08 octobre 2004

« Je me souviens » ou « Je m'en crisse »?

Le sort dévolu à nos églises en dit long sur l'état actuel de nos valeurs collectives. Sauf exceptions, on les laisse tomber en désuétude et en ruines ou on les sacrifie aux plus offrants.



Pourtant nos églises ont été les assises de nos villes et de nos villages; longtemps, elles en ont même été les phares. Les paroisses ont existé bien avant les municipalités. Pour bien marquer leur lieu d'appartenance, nos ancêtres défricheurs s'adressaient à l'évêché pour qu'il décrète officiellement que leur coin de pays devienne une nouvelle paroisse avec un nom de saint ou de sainte bien à elle -- à la mode du temps --, et pour demander qu'un curé vienne s'y installer pour s'occuper de leurs âmes et des affaires qui s'y greffent. Pour montrer à l'évêque qu'ils étaient sérieux, que la nouvelle paroisse serait là pour durer, ils s'engagaient à construire une église. Sitôt l'autorisation obtenue de fonder une nouvelle paroisse avec un nom bien à elle, ils organisaient une grande corvée pour bâtir une église, nos ancêtres, marquer à jamais l'événement dans la pierre et se donner un lieu de rassemblement à la mesure de leur coeur et de leur foi en l'avenir et en Dieu (ce qui revient au même). Dans chaque paroisse devenue depuis municipalité, quartier puis arrondissement, l'église a été un lieu identitaire, un lieu d'appartenance. Nos ancêtres y ont vécu les événements marquants de la dure vie que fut la leur, l'acceptant ainsi pour faciliter la nôtre. Ils étaient fiers de leur église : ils y amenaient leurs nouveau-nés pour les inscrire fièrement dans le registre de la paroisse, ils venaient y consacrer fièrement leurs épousailles, ils s'y rassemblaient fièrement pour célébrer les grandes fêtes. C'est à l'église qu'ils venaient les dimanches se serrer les coudes. C'est la cloche de l'église qui rythmait leur vie et en sonnait le glas. C'est à l'église en ces temps-là ouverte en tout temps qu'ils venaient se réfugier les jours de peine et de douleur pour y voir clair et y trouver espoir. Et c'est à l'ombre de l'église, qu'ils enterraient leurs morts pour que leur âme reste proche au moins en souvenir.



Mais ça, c'était il y a longtemps. Nous avons fait depuis la révolution tranquille et tranquillisante. Le sort de nos églises reflète tellement bien l'état actuel des valeurs québécoises. Nos ancêtres, ce qu'ils ont fait pour nous et ce qu'ils nous ont légué, on s'en fout : le mot ancêtre n'apparaîtra bientôt plus dans les dictionnaires. La fierté de notre patrimoinem, on s'en fout : les musées ne sont pas rentables, alors... La responsabilité citoyenne et collective, on s'en fout : le gouvernement, la police et l'armée, c'est pas là pour rien! Les paysages ruraux et urbains que nous ont légués nos ancêtres défricheurs et bâtisseurs, on s'en fout : qu'est-ce que ça donne, les paysages sont toujours beaux à la télé.



Identité? Consommateur voteur. Adresse? Village global. Appartenance? J'appartiens à ma banque, à mon employeur et à mes gouvernements. Devise : « Je me souviens »? Non. Je m'en crisse.



Si la devise du Québec était encore « Je me souviens », le gouvernement obligerait les élus municipaux qui ne le font pas à prendre la relève des marguillers lorsque ces derniers ne peuvent plus s'occuper d'une église, et à lui trouver une vocation communautaire.



Inventaire des lieux de culte du Québec


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